Catégories: "Tribunes Libres"
Automne, automne, tu pèses des tonnes sur nos épaules, des tonnes de feuilles perdues. En pluie drue dans la brise ensoleillée, elles s’amassent à nos pieds. Automne, tu pèses des tonnes de soleil et d’espoir de ciel bleu, des tonnes de tartes aux pommes, de regards de chien et de caresses d’amoureux. Tu pèses des tonnes de chaussées encombrées, de bretelles d’autoroute embouteillées que les villes bétonnent sans souci d’accessibilité. Tu pèses des tonnes de fruits perdus sur le macadam souillé des colères agricoles. Tu pèses des tonnes de billets de banque dans des tonnes de coffres d’acier entassés sous les palmiers des paradis perdus sauf pour les flibustiers de la fiscalité.
Pourquoi cette rage contre les petits, les humbles, les sans-grades ? Pourquoi s’acharnent-ils sur nous, le petit peuple des handi, les handicapées décapées, les handi-femmes, les handi-noires, les handi-beurs, les handi-vieilles, les handi-malades, les handi-pauvres ? Qu’est-ce que tous ces vieux clébards cravatés, ces jeunes loups brillants limousinés, ces pédants brillantinés ont contre nous, les petites gens, les petits yeux qui regardent le vide, le vertigineux vide de leur porte-monnaie à la fin du mois ? Qu’est-ce qui leur arrive ? Ils s’enrichissent comme jamais ils ne se sont enrichis. Ils commandent la terre entière chacun dressé sur son tas de fumier mafieux. Leurs oppositions sont dressées à rester à leur place, sagement domestiquées. Ils ont augmenté largement les salaires de leurs godillots politiques et de leurs deuxièmes couteaux barbus. Ils ont supprimé les impôts sur la fortune et construit des ouvrages d’art comptable pour faciliter l’accès aux paradis fiscaux.
Je suis né dans un univers tempéré, vert et fleuri l’été. Les enfants blancs et blonds se lavaient les mains avant d’aller à table et n’avaient de cauchemar qu’à cause du noir au fond du couloir. Haut comme trois pommes, mon point de vue sur le monde était catholique, serein, viril et farouchement égoïste. Mais je ne le savais pas. Mes sœurs se devaient d’être férues de tâches ménagères. Il n’y avait pas de noir dans les rues ou très peu et dans des lieux très circonscrits. Un clochard tendait la main sous le porche de l’église. La guerre était lointaine et on n’en parlait pas. La mort était une histoire d’oisillons tombés du nid, de feuilles d’automne ou de vieilles grands-mères chez les voisins.
(réponse à monsieur le maire et à quelques autres responsables)
Que se passe-t-il aux Trois Châteaux ?
Aucune information officielle n'ayant jamais été communiquée dans le bulletin municipal de Coye-la-Forêt, les fantasmes peuvent aller bon train.
On a su que le domaine des Trois Châteaux, propriété du département de Paris, qui accueillait jusqu'alors des enfants parisiens en difficulté sociale, devait fermer ses portes. Le personnel, inquiet, a manifesté pour garder son emploi. En vain.
On a entendu dire que le domaine serait transformé en un établissement spécialisé dans l'accueil des enfants autistes. Un autre bruit courait, qui ne laissait pas d'inquiéter : il était question qu'on y installe des « migrants ». On se souvient que M. le maire s'est exprimé à ce sujet, disant clairement sa préférence pour que le lieu accueille des enfants autistes et laissant entendre, de façon sous-jacente, son peu d'envie de recevoir des réfugiés dans sa commune.
Et depuis ?
« On est les champions, on est les champions ! » Footaise ! Après avoir subi un mois de bacchanales vulgaires et de liesse nationaliste populaire, il a été nécessaire avant d’écrire ces lignes de laisser retomber ma colère. Une analyse distancée permet de résumer « le mondial » à une succession de grand-messes, célébrées à coup de milliards d’euros, sur l’autel de la Très Sainte Virilité. La galvanisation des foules masculines réalise une « Revenge foot » planétaire à la mesure de la grande vague de prise de parole des femmes lors du mouvement #Metoo.
Maître Boileau sur son arbre perché tenait dans son bec un adage : « Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement. » Cette vieille sagesse veut bien dire que chaque fois qu’on entend un beau cravaté fraîchement barbu ou une belle décolorée à talons pointus s’exprimer en souriant dans une langue française que ni Molière ni vous ne comprenez, on vous roule dans la farine. Un langage abscons, c’est fait pour les... melons, comme on disait à Cavaillon. Essayons, vous allez voir : « Pour que les habitants deviennent des acteurs grâce à un diagnostic partagé dans le respect de la dimension interculturelle issue de la décentralisation, il importe qu’une citoyenneté inclusive de proximité soit élaborée en tenant compte de la démocratie, du lien social et d’une mondialisation qui engloberait le local. Un partenariat dans la solidarité deviendra alors le projet d’un développement dont le contrat fondamental sera la participation. » Là, déjà, on commence à être d’accord.
Nos histoires nous identifient semblables et uniques, identiques et différents, comme des poissons dans l’océan indifférent des histoires des autres. D’abord, on procède du désir des parents, un flux fantasmatique et émotionnel qui les mêle dans l’apothéose d’un tourbillon de vie. Le fœtus léger se développe au chaud du ventre de maman, par douces étapes, inscrites dans la partition génétique de ses 46 chromosomes. Y sont enregistrés les plans de mille cathédrales humaines. Au bout du voyage, une seule sera construite. S’y ajoutent les mémoires secrètes des trois générations précédentes grâce aux marqueurs épigénétiques. Mais la société dirige le destin du petit fœtus dans son bain de miel saumâtre par son influence sur la maman et le papa (s’il est là).