Christian Broutin, Instantané
Sur le carton d’invitation au vernissage, le Mont-Saint-Michel avait attiré mon attention : un Mont de rêve entouré par les sables, sans présence humaine, à l’assaut duquel montent des végétaux ou peut-être des toiles d’araignée, comme si cette île ensablée était restée à l’écart pendant des siècles, oubliée, figée dans ses contours, mais magiquement éclairée par un soleil couchant qui dessine les arêtes et intensifie les couleurs du sable et du ciel.
Feutre noir, écharpe violette qui claque, barbe blanche du sage, Christian Broutin parle avec simplicité et naturel de l’œuvre qu’il présente à Coye-la-forêt. Et d’abord de ce qui accroche le regard à l’entrée de la salle, un diptyque « en noir et blanc » qui crée l’illusion de la photographie. Sur fond de sous-bois, où la lumière joue entre les feuilles, une mère et son fils ; elle est agenouillée pour placer son visage face à celui de l’enfant et affectueusement lui tient le bras.
Le panneau suivant montre l’enfant seul. Rien n’a changé dans sa démarche et son expression. Il continue son chemin. Seul. Elle était là, elle n’est plus là. A l’arrière-plan, le sous-bois s’est effacé, ne restent que des ombres, des traces blanches, un souvenir presque effacé. Ces deux tableaux appartiennent à une série « La vitesse de la lumière », peinte, explique Christian Broutin, après qu’à l’âge de soixante-cinq ans, le souvenir lui est brutalement revenu de la disparition de sa mère, vécue alors qu’il avait cinq ans : « La disparition de ma mère a illuminé et fécondé mon travail. A cinq ans, à la mort de sa mère, on pleure bien sûr, et puis … on continue à jouer aux billes. Mais à soixante-cinq ans, le souvenir s’est imposé à moi avec puissance et il a fallu de manière impérative que je peigne ce que je retrouvais.» Andrée Chedid, à qui il montre ses toiles, écrit aussitôt un texte poétique qui leur fait écho. Intitulé « La vitesse de la lumière-Instantanés », il paraîtra, illustré par le peintre, en 2006 aux Editions de l’Olivier.
Le Mont-Saint-Michel est plusieurs fois représenté. Le peintre explique qu’en septembre il a exposé au Château de La Roche-Guyon, près duquel il habite, « 36 vues du Mont-Saint-Michel ». La toile « Hommage à Arnold Böcklin » signale explicitement l’influence de ce peintre qui avait réalisé lui-même entre 1880 et 1886 cinq versions de « L’île des morts ».
Le Mont-Saint-Michel est cette île dont Christian Broutin rappelle que le premier nom a été « le Mont Tombe ». « A vingt ans, j’ai cru, en voyant le Mont, à une émotion esthétique, mais je me suis identifié au Mont ; ce n’est pas l’architecture qui m’a intéressé, c’est cet objet perdu dans ce paysage, sa solitude. Je me suis reconnu en lui et je n’ai pas arrêté de lui faire vivre des aventures. Je l’ai emmené à la rencontre du monde. Il vole, il change de lieu, il est parfois en danger, au bord du vide. Parfois le sable est parti, il n’est soutenu que par des pilotis. Parfois il est plus serein, calme ou énigmatique dans la brume. »
Même si, dans l’œuvre du peintre, la représentation du réel est minutieuse, « l’imaginaire est le fil commun de mes toiles, explique-t-il ; il faut d’abord trouver qui on est et rester fidèle à sa ligne, quelle que soit la direction du vent. Vouloir être dans le vent est une ambition de feuille morte, dit le proverbe. »
Alors, suivons le fil… Vers ce roc énigmatique, aux facettes de pierre taillée, qui tantôt s’impose dans la brume derrière le Mont, tantôt devient son socle, silhouette noire, inquiétante sur une eau qui rougit dans le couchant. Vers les grottes obscures et magiques où l’île flotte, masse noire ou fantôme gris dans un lointain. Vers ces méandres bleu turquoise de la Seine ou ce rouge orangé sur la façade d’un château. Fascinant voyage dans la couleur…
Monsieur Pierre Vallod, Président de l’Association des Beaux-Arts, nous dira de Christian Broutin ce que sa modestie ne lui permet pas de signaler lui-même lors du vernissage, qu’il est un illustrateur reconnu qui a travaillé pour de grands éditeurs, notamment pour Gallimard et la très belle collection « Mes premières découvertes », qu’il a réalisé une soixantaine de timbres postaux, de nombreuses affiches de films dont celle de « Jules et Jim » pour laquelle il a reçu le Prix Toulouse-Lautrec, qu’il est un homme curieux de tout et qui se passionne aussi bien pour le sport automobile que pour l’astronomie ou le cinéma. En 1975, le film « La Corrida », réalisé à partir de ses dessins, a reçu le Prix Jean Vigo et a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes.
Ce Salon donne aux Coyens l’occasion de découvrir un artiste d’exception et d’entrer dans un univers où la représentation de la réalité est telle qu’on l’espère dans un rêve.
Tableaux de Christian Broutin exposés au 44ème salon des Beaux-Arts de Coye-la-Forêt
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2 commentaires
Commentaire de: Andrée Visiteur
Commentaire de: Marie Louise Membre
Merci pour vos encouragements et votre réaction très spontanée. Le tableau n°3 est intitulé “automne". La photo qui en est faite ne peut qu’approcher les couleurs du peintre, un bleu turquoise très intense pour le cours de la Seine au-delà de la touche rouge du premier plan. Ce paysage est celui que voit le peintre de chez lui, près du château de la Roche-Guyon.
Un régal cet exposé sur ces magnifiques toiles! D’emblée je me suis faite la reflexion suivante: si seulement j’avais la place au mur pour en accrocher un. Il me reste la salle de bain.. quand même, il mérite bien mieux! a moins que je mesure la surface qu’il me reste mais l’effet ne rendra certainement pas aussi bien.
Ce qui me frappe c’est l’effet de lumière , la trouée dans l’obscurité, comme s’il voulait percer quelque mystère. Il doit se poser mille questions sur la vie, l’âme. Il prend une lampe de poche pour chercher quelque chose. Curieux de tout? Je verrai bien cet être lumineux continuer sa route, ses recherches sur l’esprit( connais-toi toi-même disait..?)du coté d’une loge maçonique,philosophie orientale…Voilà pour la boule de cristal :p - sourire!
Pour moi la modestie est la parure des grands hommes; ce sont les petits chiens et les petits coqs qui crient le plus fort.
Vouloir être dans le vent est une ambition de feuilles mortes, très joli proverbe. Mais quel vent? puisqu’il n’est jamais le même. Encore une chose qui naît, vit, se transforme pour disparaìtre. Essayez donc d’attraper le vent!
J’ai beaucoup aimé le no 3, le fleuve dans la pénombre. Je me demande comme cela rendrait en petit format?
Je termine mes élucubrations en ajoutant que c’est bien dommage que peu de gens visitent ce site pourtant bien fourni. La TV, le Net ou le bistro?
Tous mes encouragements. Andrée