Ambiance d’époque pendant l’entrée du public… quelle époque ? En fond de scène, un écran rectangulaire posé verticalement sur sa largeur nous la raconte, parcouru de ces morceaux tressautant de films en noir et blanc caractéristiques de l’entre-deux guerres. Foules immenses et fiévreuses, costumes et véhicules datés, décors urbains à gratte-ciels : nous voici embarqués dans un monde tragique, celui des soubresauts américains consécutifs à la victoire du clan allié en 1918 et de l’exécution célèbre le 1927 de Sacco et de Vanzetti, considérée comme une épouvantable machination judiciaire et politique.
Sept chaises très rectilignes sont en scène ; l’une, tombée en avant.
Sept lumignons descendent du plafond.
Écran, chaises, lumignons, pendant toute la durée de la pièce, sont les partenaires actifs des deux personnages que nous découvrons après cette introduction inquiète. Le plus grand est Nicola Sacco. Le plus petit, le moustachu, nous décrit la captivité inhumaine -en asile psychiatrique pendant trois ans- de ce dernier avant qu’il n’échoue dans la cellule des condamnés à mort, puis lui-même se transforme en Bartolomeo Vanzetti. Suivent les réminiscences des circonstances qui les ont conduits tous les deux dans une telle situation, entrecoupées par les variations stressantes de l’intensité lumineuse, conséquences des essais supposés de l’appareillage électrique qui leur ôtera la vie dans quelques instants.
L’auteur et la mise en scène ingénieuse font ensuite la part belle au procès. Le parti est pris de mettre en doute les accusateurs, de démasquer les subornations des témoins, d’impliquer les mécanismes politiques. Il est difficile de détailler. Sachons pourtant que les comédiens Jacques Dau (Vanzetti) et Jean-Marc Catella (Sacco) font merveille en endossant avec un talent évident de transformisme les habits, entre autres personnages, du juge Thyler Webster, membre de la Cour suprême de l'Etat, connu pour sa médiocrité, ayant obtenu un diplôme en échange de faveurs, et effectué pour la commodité un changement de parti politique, puis de la timide bibliothécaire Mary Splain, puis d’une infirmière Lola Andrews, puis du capitaine de police William Proctor, puis d’un homme au chômage nommé Lewis Pelser etc.
On comprend par le ton que les déclarations des témoins sont soit déformées, soit obtenues par la menace, bref que le procès est manifestement partial. Il est impossible par exemple pour Mary Splain, située pendant quelques secondes à une distance de près de 100 mètres de la scène du crime de reconnaître des hommes armés ; Andrews est menacée de perdre son travail, Pelser contraint de signer en état d'ivresse par les envoyés de l’agence Pinkerton. Le capitaine Proctor avertit le procureur, que les balles du crime n'ont rien à voir avec les armes des accusés.
Un second thème, humain, se joue : la peur de mourir de Sacco et la détermination de Vanzetti, le plus convaincu des deux condamnés que « la liberté, c’est la révolte ». Sacco se relèvera et ils partiront au supplice la tête haute.
Toutes ces allées-venues d’une multiplicité de personnages acteurs d’un épisode judiciaire ancien semblent complexes. La représentation est celle d’un sujet fort et austère. Mais la fameuse « magie » du théâtre, c’est-à-dire la valeur du texte, sa mise en scène paradoxalement pleine d’humour (voir la scène du Gouverneur de l’Etat du Massachussetts auprès de Vanzetti), sa scénographie utilisant de nombreux effets audio et vidéo très réussis, l’investissement magistral de deux comédiens chevronnés habitués l’un à l’autre, fait que nous avons assisté à un spectacle exemplaire, magnifiquement applaudi. Il fait honneur aux objectifs culturels et à la programmation du 29ème Festival Théâtral de Coye-la-forêt.
Sortie de spectacle :
Pour complément d’actualité (trouvé sur Internet), lire la page2 :
Merci à l’auteur de l’article pour la documentation jointe concernant cette affaire. Il est intéressant de voir qu’on en parle encore dans un pays qui inflige (encore!) la peine de mort.
Nico et Bart,
Pas une ride chez les deux compères! L’histoire est d’une modernité, de notre quotidien…
Comme un contre temps la réalité s’affiche en virtuel, en noir et blanc, pour épouser les corps et les âmes de ces deux artistes, et le virtuel est réalité, monolithique, puis duo insaisissable..
Tout juste a-t-on remarqué un effet, un souffle qui semble empêcher Nico et Bart de sonner à l’unisson…
J’aurais aimé chanter les paroles de J Baez, ou celles de G. Moustaki, j’ai entendu la musique de E. Morricone, mais ne boudons pas notre plaisir, cette soirée fut prenante, et la performance enthousiasmante!
Il est utile de faire le rapprochement entre cette pièce, “Sacco et Vanzetti", et celle de jeudi dernier, “Grand’peur et misères du IIIème Reich". Où l’on voit que les mêmes procédés sont utilisés dans ce qui voudrait être le modèle de la démocratie, les États-Unis d’Amérique, et ce qui est le prototype du totalitarisme, l’Allemagne nazie : intimidation, chantage à l’emploi, manipulation, pression sur la famille, violence ouverte si les menaces ne suffisent pas… Ce rapprochement nous porte à réfléchir sur la fragilité de la démocratie et si la pièce “Grand’peur” se terminait par ce mot NON - que nous avons applaudi -, il ne faut pas oublier qu’il est plus facile de dire non dans certaines situations que dans d’autres ; raison de plus pour dire non chaque fois que ça se présente.
Merci à l’auteur de l’article pour la documentation jointe concernant cette affaire. Il est intéressant de voir qu’on en parle encore dans un pays qui inflige (encore!) la peine de mort.