TURCARET ou le financier
d’Alain-René Lesage
par le Théâtre de la Lucarne
Mise en scène : Claude Domenech
Le Festival se termine en comédie, de quoi mettre chacun de joyeuse humeur. Pourtant il n’y aurait pas de quoi. La pièce de Lesage présente un tableau très sombre du début du XVIII° siècle, une satire sans concessions de toute la société, des valets aux maîtres, bourgeois ou petits nobles. Mais les personnages sont caricaturaux – marionnettes qui s’agitent, mues par la cupidité – l’action est vive comme les reparties… et l’on en rit !
Dans le décor XVIII°, représenté par des paravents à végétaux et arabesques dorées sur fond gris et bordeaux, se détache en jardin une petite table claire, qui fait office de secrétaire et sur laquelle, à côté d’un bougeoir, s’alourdit une grosse bourse rouge et or … assortie à la robe de la dame qui en tient le cordon ! L’accessoire donne le la. Il sera ici question d’argent, et uniquement d’argent. Ni amour, ni amitié, ni générosité. Uniquement de la concupiscence, d’abord pour les biens matériels qu’on amasse, vole et cache, ensuite pour les femmes dont on lorgne les rondeurs. Le tout assorti de cynisme, de flagornerie, d’hypocrisie, de duplicité. Quelle liste ! A l’inverse des comédies de Molière, qui avaient aussi ridiculisé les fourbes, les arrivistes et les pingres, aucun des personnages de « Turcaret » n’attire la sympathie.
La ronde des dupes
Le financier, qui donne son nom à la pièce, vit d’usure, escroque, monnaie ses services, dépouille le niais, piétine le faible, mais pleutre face à plus fort que lui ; on se réjouit donc que sa crédulité en amour en fasse le dindon de la farce. Il a relégué sa femme en province et se fait passer pour veuf aux yeux d’une baronne de laquelle il s’éprend et qui lui soutire tout ce qu’elle peut pour se constituer un magot. Il n’y voit goutte. Elle est elle-même la dupe d’un petit chevalier sans le sou, dont elle est vaguement éprise et à qui elle prodigue des « soins » qui sonnent comme des pistoles. Le chevalier est à son tour abusé par une dame rencontrée dans un « lansquenet » parisien (une salle de jeu) et qui se fait passer pour une comtesse. Il en espère des faveurs, bien entendu. Au dénouement, elle s’avère être la femme de Turcaret venue de sa Normandie reculée chercher à Paris quelque protecteur-soupirant et demander à son mari la pension qu’il lui doit. Bref, c’est le jeu de qui trompe qui, des « ricochets de fourberies », pour reprendre la formule du valet clairvoyant, Frontin.
Les valets sont apparemment les seuls à ne pas être dupés – mais rien n’est certain. Ils ont la perspicacité, la malignité et l’hypocrisie nécessaires pour tirer partie de la cupidité des maîtres. Leur but est le même que ceux qu’ils servent, faire grossir leur bourse et devenir à leur tour gens de qualité. Dans ce monde l’argent donne la respectabilité, et l’on ne recule devant aucun moyen pour l’acquérir. La pièce pourrait être un manuel à l’usage du valet qui désire devenir riche, dont Turcaret serait l’illustration.
Des personnages de caricature
Mais on rit pourtant ! Les acteurs se sont prêtés au jeu de la caricature. Pierre Debert compose un Turcaret sot à souhait, aux mimiques outrées – bouche grande ouverte, yeux écarquillés, moulinets de bras et de jambes – et dont on bouscule facilement le grand corps dégingandé. On lui écrase le pied, on lui botte l’arrière-train. En contraste, la baronne – Adélie Germain – joue la veuve de colonel compassée et innocente. Deux servantes se succèdent près d’elle : Claudine Deraedt donne de la rigidité à Lisette, intraitable quant aux moyens à employer pour plumer le financier, tandis que Isabelle Jacquet étale complaisamment les sourires niais de la servante et sa perversion, aussi bien que son décolleté. La revendeuse à la toilette, entremetteuse sans pudeur, complète le tableau de ce petit monde avide de profiter de l’argent qui tombe : Claude Samsoën module sa voix, en fait du miel ou l’enflamme ; avec la gentille coiffe blanche et la cape dont elle entoure ou dévoile sa gorge, elle tient son personnage d’hypocrite. En chevalier, Jean Truchaud aime porter beau avec perruque poudrée et costume soyeux - voix douce faite pour attirer la proie - aux côtés de Jean-Louis Torrecilla qui a naturellement intégré les gestes souples et la voix aristocratique qui conviennent à un marquis. L’entrée de Danièle Larue déclenche plaisamment le dénouement. Elle trotte à pas menus sous son joli chapeau à plumes, voix mesurée, onctueuse pour la comtesse de province qu’elle n’est pas ! « Ciel, ma femme ! », crie Turcaret
Les serviteurs ne sont pas en reste : Christophe Demay a la souplesse et la vivacité indispensables à Frantin, toujours courant, toujours manigançant, et son compère Hervé Koch choisit d’accentuer la niaiserie et la maladresse du personnage de Flamand. On n’oubliera pas les apparitions cocasses de Bernard Judas et de Claude Domenech. Dans le rôle de monsieur Rafle – le nom dit tout – le premier se dissimule dans sa redingote noire, il glisse, lèvres pincées, gestes secs, voix menue ; le second – Furet, il faut le trouver ! – est un huissier parfait dont la voix s’entend à lire les actes avec la rigidité et la rapidité qu’exige la fonction. Et disons tout net que la perruque bouclée lui est fort seyante.
Cette galerie de filous est propre à faire naître le rire, tout comme les fausses sorties, les déguisements, les courtes scènes qui servent d’apartés aux serviteurs, les bourses qui se vident et se remplissent, l’argent qui passe de main en main, le dénouement qui dévoile les identités et fait entTURCARET ou le Financier D'Alain-René Lesageendre l’exclamation boulevardière avant l’heure : Ciel, ma sœur ! Ciel, ma femme !
Une agréable soirée qui finit dans les rires et l’accueil très chaleureux du public.
TURCARET ou le Financier D'Alain-René Lesage
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4 commentaires
Commentaire de: Anne-Marie Visiteur
Commentaire de: Marie-Pauline Visiteur
Une pièce superbement interprétée par cette troupe toujours aussi vive et douée. C’est un régal que de les voir sur scène chaque année!!! Si l’ensemble de la troupe a, comme à chaque fois, été à la hauteur, le jeu de Turcaret et de la Baronne était splendide!!! Bref, cette pièce est un pur régal et la fin est mouvementée et riche en rebondissements! Bravo à tous!!
Commentaire de: FRANCK Visiteur
Un très bon moment, une interprétation globale superbe! Un vrai régal! le temps a passé trop vite!
Une interprétation divine de La Baronne!Du plaisir à l’état pur : la grâce, la finesse, l’intelligence du personnage tout y était ; une merveilleuse comédienne; un rôle sur mesure! J’ai été emporté par son jeu.
Bravo à tous et merci!!!!!!!!
Commentaire de: Jacques Visiteur
Magistrale interprétation, Excellente mise en scène, une intrigue qui se dévoile petit à petit pour se terminer par des escrocs dépouillés par plus malin qu’eux. Merci Mesdames et messieurs les acteurs, merci Monsieur Domenech Bravo à tous j’ai passé une merveilleuse soirée.
J’ai trouvé ça formidable et la troupe était en grande forme.J’ai particulièrement apprécié les jeux de Turcaret, Frontin et la Baronne; quant à la pièce ,je l’ai trouvée très intéressante: pas un personnage pour racheter l’autre!!! Quel cynisme!