À la Saint-Patrick, confinement
Vous connaissez la Saint-Patrick qui met les Irlandais dans tous leurs états le 17 mars, qui les habille en vert pour les faire chanter et danser, et qui vide les fûts de Guinness. Même liesse à Paris où les Irlandais loin du Connemara ou de Dublin trouvent depuis des années dans les bars parisiens des lieux tout aussi propices que les pubs pour y célébrer la fête de leur saint patron.
A Coye-la-forêt, depuis trois ans, c'est au Régent que se déroulait la fête irlandaise. Même s'il n'y avait aucun Irlandais à Coye. Une occasion de faire la fête comme une autre. Permission de minuit. Musique, ripailles, chansons, rires qui crèvent le plafond, tapes dans le dos, voix qui tonitruent.
Las, mardi 17 mars, tout est à l'envers, les Irlandais et leur folklore ont repris la mer dans leurs galères, chassés par un drôle de mot qui fait son entrée dans notre quotidien. On le prononce la bouche presque fermée, avec ses syllabes éteintes comme un enterrement. Un mot pas beau. Pas un gros mot, mais presque… CONFINEMENT.
A midi le 17 mars, le jour de la Saint-Patrick, le confinement est là. Installé à Coye, il a pris ses aises, il s’est étalé avec ses quatre syllabes dans les rues, sur la place, sur les trottoirs, dans les boutiques. Impossible de ne pas le remarquer, on ne voit que lui. On n’entend que lui.
Le silence
Pour voir ce que c'était, ce confinement dont on parlait à mots chuchotés depuis quelques jours sans savoir à quoi il ressemblerait, je suis sortie passé18 heures pour aller acheter des pommes de terre chez Pomone et Vertumne. Je ne peux pas dire que j’en avais vraiment besoin, mais il me fallait un prétexte pour sortir. D’habitude, quand le confinement n’est pas là, je cherche une raison pour ne pas sortir. Si je n’ai pas de pommes de terre, on mangera du riz.
Mais ce premier soir j’avais décidé que j’irais dans ce nouveau magasin de la Grande rue, « Pomone et Vertumne », du nom de la nymphe et du dieu qui veillent sur les fruits et les légumes — si vous voulez savoir leur histoire consultez Ovide.
Route de Chaumontel, je croise une femme solitaire qui se dirige vers les Trois châteaux. Nous nous sourions. Pas une voiture ne roule. La Galerie du Regard, grilles fermées. Grande rue, personne. Sur les trottoirs, pas de nourrice à poussette, pas de grand-père à canne. Et le silence. A cette heure, d’habitude les voitures descendues de la gare filent vers Lamorlaye, ou en viennent pour monter attendre l’arrivée d’un train. Encombrements assurés quand se croisent les files montantes et descendantes. Bruits de moteurs, freins qui miaulent, gaz d’échappement. Tout ce qu’on aime.
Or, ce soir-là, rien, je pourrais marcher au milieu de la rue si je voulais, j’ai le trottoir pour moi toute seule et j’avance dans le silence. Une sensation étrange, pesante, j’ai l’impression de pénétrer dans une zone interdite, d’être là en fraude puisque je suis seule, et je suis soulagée de voir allumée la boutique de fruits et légumes. Il y a de la vie, tout n’est donc pas mort. Soulagement de parler à la patronne, seule aussi dans la boutique. On échange quelques mots pour se sentir vivantes.
Le désert
Nantie de mes pommes de terre Amandine, en provenance directe de Raray, avec audace je poursuis mon chemin vers le centre où je ne devrais pas aller car je n’ai rien à y faire. Je devrais rentrer chez moi et me confiner. Mais je brave l’interdit. Personne ne m’arrête. J’ai envie de voir si plus loin le confinement est encore là.
Il est bien là, palpable au carrefour de la rue d’Hérivaux, où personne ne traverse ni ne se croise, où aucune voiture ne s’annonce. Je tourne vers le Régent.
Même désert. Pas tout à fait. La porte du bar est ouverte pour les acheteurs de cigarettes et de journaux, les joueurs de loto. Mais ils ne sont plus là à cette heure, ils n’ont fait que passer, puisqu’on ne peut plus s’offrir le temps de parler et de s’attarder. Et personne ne prend plus l’apéro bien sûr. Le patron est donc seul, assis dehors, près de la terrasse où il n’y a plus ni fauteuils ni clients — les tables sont pliées. Il se tient la tête, morose, perplexe, abattu. Je reste debout, à un mètre, pour parler un peu. Et c’est là qu’il me dit : « L’année dernière, c’était la Saint-Patrick. » Et il raconte… la fête, la musique, l’ambiance, le monde … Il en parle comme d’un âge d’or qui aurait brutalement disparu.
Je compâtis de mon mieux et, navrée pour lui, le moral dans les talons, je repars vers la place de la mairie. Même silence. Chez Da Mino, on n’attend personne pour le dîner.
La nuit sera bientôt là, le ciel est gris sombre, j’entends les cloches qui sonnent pour 19h. Leur sonnerie claire et familière m’accompagne vers la Grande rue et me rassure. Elle s’entend d’autant mieux que le silence est partout, étouffant.
Le confinement, c’est ce qui efface la vie, c’est les gens qui ne se montrent pas, qui ne se parlent pas et restent derrière leurs murs.
Mais un village, ce ne sont pas les rues, les places, les pierres, les pavés, l’architecture qui font que l’on aime y vivre. Ce sont les gens. Ce sont les personnes que l’on croise, que l’on reconnaît, à qui l’on parle, ce sont les rencontres, tous les mots banals que l’on dira, les signes de la main, ce sont les bonjour comment vas-tu, les je voudrais une baguette, avez-vous des endives… C’est de tout cela que le confinement nous prive. Le confinement, c’est un vide, c’est une absence, un manque. Comme si on était privé d’air. C’est pour ça qu’on a tant envie de sortir.
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