Quelques mots sur notre festival
Ma très chère amie,
Je m'étais promis de vous envoyer quelques nouvelles de notre festival théâtral (le quarante-deuxième, vous rendez-vous compte ?). Mais les spectacles se succèdent depuis plus d'une semaine (nous n'en avons manqué aucun), sans que je vous aie rien écrit. Excusez-moi, chère amie, je ne vous oublie pas, c'est le courage qui me manque. L'absence de Nathalie, qui tous les soirs faisait des photos, a beaucoup affecté Marie-Louise qui, du coup, a renoncé à la tâche qu'elle s'était assignée et qu'elle a remplie avec succès pendant de nombreuses années : faire en sorte que tous les spectacles sans exception fassent l'objet d'un article sur le blog COYE29 . Et cette année, rien ! Une grande paresse généralisée s'est abattue sur tous les rédacteurs. Ce qui démontre bien, a contrario, (s'il était nécessaire de démontrer une évidence) que le rôle de Marie-Louise était essentiel.
Que voulez-vous ? Les années passent et il arrive un moment où il faut chercher le relais. Marie-Louise n'a pas trouvé quelqu'un pour la remplacer et on s'aperçoit que c'est dommage. Pour ce qui concerne la présidence du festival, la transmission s'est faite depuis l'année dernière puisque Jean-François Gabillet, co-fondateur du festival et donc sur le pont depuis quarante ans, a laissé la place à un petit jeune (ne voyez pas dans cette expression une marque péjorative, mais bien plutôt un signe d'affection puisque Laurent Domingos, le nouveau président du festival, a l'âge de mes enfants). Quant à la direction artistique, elle a été confiée cette année à David Nathanson. Ainsi, avec une équipe rénovée et rajeunie, pouvons-nous espérer que le festival continuera à vivre aussi longtemps qu'il a déjà vécu et que nous mourrons avant lui (regardons les choses en face, chère amie, dans quarante-deux ans, ni vous ni moi ne serons encore là pour participer tous les soirs à cette grande fête du théâtre).
.Venons-en à la programmation de cette année. Nous avons eu jusqu'à présent trois spectacles sortant nettement du lot, dans l'ordre chronologique de passage au festival : « Une vie de pianiste », « À la ligne » et « Deux sœurs ». Dans la conversation, Laurent Domingos avait affirmé : « Cette année le festival sera plus consensuel que l'année dernière. » Je n'en suis pas très certaine : si l'unanimité absolue s'est faite sur les deux premiers spectacles que je vous ai cités, vraiment hors du commun, nombreuses pièces m'ont paru de bonne tenue, mais sans être renversantes, et deux, contrairement à ce qu'affirmait Laurent, ont été nettement clivantes : « Pièce en plastique » et « J'ai si peu parlé ma propre langue ». Ce sont des spectacles qui se veulent critiques, alliant le grotesque et la caricature jusqu'à l'outrance et le "mauvais goût", comme dans les comédies grinçantes du cinéma italien des années 70 (souvenez-vous dans notre jeunesse, « Les monstres » de Dino Risi, « La grande Bouffe » de Marco Ferreri ou encore « Affreux, sales et méchants » d'Ettore Scola. Souvenez-vous aussi comme « Hara Kiri », pouvait être de "mauvais goût" : « Bal tragique à Colombey, un mort ! ». Ici une femme en robe à paillettes enfile une veste de militaire pour nous servir le discours de De Gaulle à Alger « Je vous ai compris ! »). Évidemment, si on n'apprécie pas ce genre d'humour provocateur, on ressort de la salle de méchante humeur ! J'ai entendu des critiques très sévères à la sortie de « J'ai si peu parlé...», comme quoi le jeu des comédiennes ressemblait à de l'improvisation et qu'on se serait cru dans un spectacle amateur ; à quoi je réponds : oui, c'est vrai, pour la bonne raison qu'elles jouaient le rôle d'intervenantes à la radio qui parlaient en direct et qui donc effectivement improvisaient, se trompaient, se reprenaient ... mais c'était les personnages qui improvisaient, pas les comédiennes, qui étaient très pros, au contraire ! Au demeurant , le spectacle ne m'a pas emballée, l'ensemble était assez foutraque et désordonné... Malheureusement personne ne s'étant exprimé sur le blog, nous n'avons plus de lieu pour polémiquer et découvrir les points de vue divergents.
Je ne vous en dirai pas plus pour aujourd'hui car nous avons encore six jours de festival devant nous. À l'occasion, allez voir « Une vie de pianiste » : outre que le musicien est prodigieux de virtuosité, il parle avec beaucoup d'humour de son apprentissage dans la Roumanie de Ceausescu et de son exil en France. On passe en sa compagnie une excellente soirée.
.Mais surtout, je vous recommande très vivement « À la ligne » (d'après le livre de Joseph Ponthus, qui a fait l'objet de plusieurs adaptations, mais qui est ici mis en scène et joué par Mathieu Létuvé, absolument exceptionnel). Le théâtre est un art difficile et exigeant, ici tout est parfait : le texte à lui seul est déjà très fort ; la mise en scène et la scénographie sont intelligentes et toujours signifiantes (rien de gratuit dans les déplacements des éléments de décors, et ce sont des moments de respiration indispensables à la poursuite du récit, qui est souvent très dur, à la limite du supportable) ; la lumière froide des néons correspond exactement au monde du travail, contrastant avec la lumière plus jaune de la maison et des temps de repos ; le jeu de l'acteur est généreux et puissant, sincère et totalement engagé, en connivence avec le musicien électro, discret en fond de scène. La salle était debout pour applaudir. Je ne sais pas si le spectacle tourne encore ; si oui, j'ai une recommandation à vous faire : lâchez tout et acceptez de faire des kilomètres pour le voir. À défaut, lisez le livre, c'est un témoignage impressionnant (superbement écrit) sur le travail dans les usines de l'agroalimentaire en Bretagne. C'est le pendant contemporain de « L'établi », ce livre de Robert Linhart qui décrivait, dans les années 70 du siècle dernier, le travail à la chaîne dans les usines d'automobile. À cinquante ans de distance, Linhart et Ponthus, deux intellectuels travaillant en usine tirent de cette expérience une grande œuvre littéraire.
Il faudrait que je prenne le temps de vous en parler plus longuement mais dès ce soir un nouveau spectacle nous attend.
Donc je vous quitte, très chère amie, et vous assure de mes plus fidèles pensées.
Votre fidèle Mathurine
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2 commentaires
Commentaire de: francoise Membre
Contrairement à Mathurine, je n’ai pas tout vu mais je partage son enthousiasme pour ses deux spectacles préférés.
Pour les autres pièces que j’ai vues, j’ai toujours admiré les performances d’acteurs mais plus ou moins aimé la mise en scène et accroché à l’histoire.
Ces divergences dans l’appréciation de ce qu’on nous donne à voir, c’est tout l’intérêt d’un festival.
Commentaire de: Marie-Louise Visiteur
Je ne vais pas rester sans vous répondre, Mathurine, je peux au moins faire cela. Comme vous le savez "notre" blog suit le Festival depuis mai 2009, et nous n’avons pas failli pendant 13 ans. Ce furent des moments de passion et d’exaltation partagés entre webmaster, photographe, et rédacteurs.
Quand l’un (ou l’une) vient à manquer, il ou elle laisse le groupe devant un vide. Tout est à reconstruire et il faut du temps… On dit souvent "Personne n’est irremplaçable". Au contraire, chacun est irremplaçable. S’il y a remplacement d’un membre (et ce n’est pas toujours possible) le groupe doit se reformer, il s’oriente différemment, il réagit, décide, crée autrement.
Nathalie ne se remplacera pas, même si quelqu’un d’autre prend sa place.
Je ne veux pas rester sur cette nostalgie…. j’aime toujours le théâtre et cette année encore j’ai vu tous les spectacles, et certains soirs ce fut une vraie fête, je vous en parlerai peut-être un autre jour… Je suis très heureuse pour ce que Coye29 a apporté au festival depuis 2009, des milliers de mots et de photos qui, tous, parlent du théâtre et qui en sont devenus une mémoire précieuse.
A très bientôt…. Au théâtre !
Marie-Louise