Septembre a décoré les frondaisons des parcs de reflets dorés. Les faînes et les glands craquent sous les pieds. Cela sent la pomme dans la cuisine. Le brouillard est doux le soir sur les étangs. La nuit vient fermer plus tôt les volets des fenêtres orange dans le violet du crépuscule. La terre sent l’humide et le champignon. Noël, c’est pour l’hiver et Pâques pour le printemps. L’été se fête à la Saint-Jean ou au 14 Juillet. Il manque une fête à l’automne avec des gâteaux d’anniversaire, des chandelles et des flambées, avec des mots d’amour écrits à l’envers des feuilles mortes et des enfants au jardin qu’on rappelle le soir pour qu’ils ne prennent pas froid. L’été indien viendra, glorieux, enturbanné d’or et serré dans le sari soyeux des moires du couchant. Quand les forêts se couvriront de jaune citron, de caramel et de vermillon, quand les champs du matin se déferont des voiles de l’aube en souvenir des moiteurs de l’été, le monde nous fera une dernière caresse avant de sombrer dans les bourrasques de l’hiver. Qu’il est beau, le monde d’hier ! Le monde d’avant les incendies, d’avant les ravages des canicules et des inondations. Septembre. La nature ouvre sa gibecière et incline un peu son panier pour que les fruits sucrés par les dernières ardeurs du soleil profitent aux enfants par les chemins ombrageux qui traversent les vergers. Les premiers tirs des chasseurs vont bientôt déchiqueter les taillis et tacher de rouge les sous-bois mordorés. La brutalité guerrière n’est jamais loin. Ils vont tout faire pour que le monde d’hier ne devienne pas le monde de demain. Le ciel bleu et les blés mûrs des couleurs de l’Ukraine se déchirent dans la haine et les éclats des bombes. Le gaz russe brûle en flammes immenses dans des terres désertées. Les pôles fondent. Les mers se vident de leur flore et de leur faune. Les forêts brûlent partout sur la planète. Voit-on les flammes et la fumée dans les télescopes de l’espace ? De quelle couleur est notre vieille Terre vue des étoiles? Combien de temps encore verra-t-on passer les oies sauvages ? Y aura-t-il des hirondelles l’année prochaine ? Quand ils auront enfin tout gâché par leur voracité sanguinaire et leur cupidité mortifère, quand ils auront suffisamment semé de malheur, de sang et de larmes, quand le printemps sera devenu silencieux et l’été fournaise invivable, quand il ne nous restera plus que l’hiver, qui restera encore sur terre pour avoir la nostalgie des mois de septembre du monde d’avant.
Centre culturel de Coye-la-forêt
Dimanche 18 septembre, à 16h
Rencontre avec le metteur en scène Paul Goulhot
À l’occasion de la représentation de la pièce de Cocteau, L’Aigle à deux têtes, au Centre culturel de Coye-la-forêt, la rédaction de coye29 a rencontré Paul Goulhot, le metteur en scène, qui venait de quitter le plateau pour reconduire les comédiens à la gare. Après le travail d’une journée de répétition, Paul est encore fringant et dynamique, l’œil bleu qui brille quand on parle théâtre.
Coye29 : Bonjour Paul, la première de la pièce aura lieu dimanche 18 septembre en sortie de résidence, dit-on. Le blog coye29, toujours intéressé par le théâtre, a eu très envie d’échanger avec vous sur votre travail et votre objectif de metteur en scène. Paul Goulhot : Oui, le 18 septembre notre troupe aura la chance d’avoir « résidé » trois semaines dans une salle de spectacle pour faire aboutir cette création, une semaine à Lamorlaye, puis deux à Coye-la-forêt grâce à l’invitation de Thierry Charpiot et de son association Calliope.
Coye29 : Trois semaines pour monter une pièce, cela semble court au premier abord... : Certes la création se finalise en trois semaines, mais le travail en amont est important. Nous sommes sur le projet depuis novembre. Quand nous arrivons en résidence sur un plateau, tout est prêt : la musique est choisie, les accessoires réunis, l’utilisation des vidéos a été vue, les affiches réalisées…
Ici, on travaille le jeu des comédiens et la création lumière, nous avons aussi installé un support de projections. Mais le casting a été lancé en novembre, décidé après une ou deux journées d’auditions et nous avons fait plusieurs lectures ensuite.
Coye29 : Je sais que vous connaissez bien Coye-la-forêt… : J’habite Lamorlaye et c’est à Coye que j’ai commencé et appris le théâtre avec La Lucarne, de 6 à 18 ans. L’ambiance théâtre je la connais bien, avec les cours, les représentations et le Festival théâtral.
Ensuite j’ai poursuivi ma formation d’acteur au Conservatoire de Cergy-Pontoise puis au Cours Simon. Il est donc tout naturel pour moi de vouloir revenir à Coye pour la première de ce spectacle.
Coye29 : Comment s’est fait le choix de la pièce ? : Je connaissais Cocteau bien sûr, que j’aimais beaucoup, et pendant le confinement, par hasard, j’ai regardé La Belle et la Bête, et j’ai été happé par le texte, l’histoire, le thème de l’identité… J’ai relu d’autres pièces — La Machine infernale, La Voix humaine, Orphée. L’Aigle à deux têtes a retenu mon attention car c’est une pièce peu adaptée, donc où l’on peut créer, imaginer ; elle ne compte que cinq personnages, et la question de l’identité m’intéresse… qui l’on est, comment l’on veut être… Je l’ai choisie pour toutes ces raisons et j’ai eu envie de la transposer ailleurs, en Asie.
Le casting a été fait en fonction de cet objectif. Le Japon, la Chine sont pour moi des pays qui ont une sensibilité particulière, une esthétique. Je suis cinéphile et j’aime beaucoup les films de Kurosawa, de Zhang Yimou. Je voulais un monde imaginaire qui rassemble ces cultures asiatiques, chinoise, japonaise, laotienne... On peut tous s’accepter et s’aimer. Cette pièce raconte une histoire d’amour qui rassemble les identités, dans laquelle les contraires s’attirent et s’unissent — La Reine est veuve. Dix ans après un anarchiste veut la tuer, mais il ressemble au roi qu’elle a aimé et perdu au matin de ses noces… La passion les emporte…
J’ai voulu qu’il n’y ait qu’un Caucasien parmi les cinq comédiens, celui qui joue le personnage de STANISLAS. Je suis fier de mon équipe qui m'a suivi dans ce projet un peu fou. Ce sont des professionnels qui ont entre 10 et 25 ans de carrière au théâtre, qui ont aussi tourné pour le cinéma et la télévision.
Coye29 : On a tous vu le symbole de l'aigle à deux têtes sur des drapeaux ou des armoiries, souvent germaniques, slaves. Quel sens particulier donnez-vous au titre de la pièce que vous situez en Asie ?
: Pour moi ce sont deux êtres qui fusionnent face à l'avenir et aux complots. Deux corps mais un élan. Le personnage de Stanislas dit : " Je vous offre d'être vous et moi un aigle à deux têtes". Si l'on coupe une tête, l'aigle meurt.
Coye29 : Encore une raison d'aller voir cette pièce ? : Elle a été peu adaptée, je l’ai dit, et le plus souvent recentrée sur des pays européens. Là, elle devient une invitation au voyage, avec un décor que l'on dirait tracé à l'encre de Chine, des accessoires suggestifs comme les katanas, au lieu d’armes à feu. Mais par respect pour le texte je n'ai pas changé les noms.
Coye29 : Merci, Paul, pour cette présentation. Il est difficile de ne pas être tenté de vous suivre dans ce voyage vers l’Orient et cette vibrante histoire d’amour. À Coye-la-forêt le public répond présent. Je vous souhaite, ainsi qu’aux comédiens, une salle remplie… et vibrante.
Réservation :
https://www.helloasso.com/associations/s14/evenements/l-aigle-a-deux-tetes-sortie-de-residence
« Je suis désolé. » Désolé pour le prix du gaz, pour l’inflation et le manque de moutarde dans les rayons. Désolé pour l’Ukraine, la Syrie, le Congo, Gaza et le Yémen. Désolé pour l’heure, le jour, le rendez-vous raté dans la saison. Désolé pour l’attente à la gare. Tu me diras, pour une fois que ce n’était pas le train qui était en retard. Désolé pour t’avoir laissé l’addition et pour ma carte bleue que j’ai oubliée à la maison. Désolé pour cette fille que j’ai à peine embrassée. Elle n’a jamais vraiment compté bien sûr ! Je suis désolé que ça t’énerve, mais c’est toi que j’ai toujours aimée. Désolé pour les vacances ratées à cause de la canicule et du camping qui sentait le brûlé. Désolé, mais là, je n’y étais pour rien. Même qu’en France on a attrapé 90 incendiaires. Il y en a même un qui a 12 ans. Tous des hommes naturellement. Désolé pour avoir oublié ton anniversaire. Ce n’est pas comme si je ne l’avais pas noté. J’ai seulement oublié de regarder. Je t’ai dit que j’étais désolé ! Et les petites salopes sur internet, c’était pour rigoler avec des potes. Désolé. J’ai pas de mouchoir. Tu veux un coup à boire ? Arrête de pleurer. C’est pas comme si je t’avais pas dit que j’étais désolé ! Pour le ménage, y avait un match à la télé. Je t’ai dit que je laverais la vaisselle, mais je suis désolé, je t’ai pas dit quand. Désolé pour le gosse. J’ai raté la sortie de l’école et j’ai laissé son cadeau à la maison. Désolé pour le désordre, pour le bruit, pour l’odeur, pour l’argent, pour n’avoir pas eu le temps. Désolé pour l’avenir qui se prépare pour les enfants. Désolé pour les nouvelles à la télé. Désolé pour tous ces scélérats qui tuent les gens dans la poussière des guerres. Désolé pour ces famines à faire crever les rats. Désolé pour la misère, pour les enfants soldats et les enfants esclaves qui ramassent le cacao de notre chocolat. Désolé pour ceux qui étouffent sous terre pour extraire les métaux de nos portables et de nos avions de guerre. Désolé pour ces filles sans école. Désolé pour ces femmes violées qui meurent sous les coups des soldats. Désolé pour le climat. Désolé pour les jeunes gouvernants aveugles qui font des courbettes à tous les vieux tyrans cruels et tremblotants. Tous des hommes évidemment. Sauf peut-être Liz Truss ou Madame Thatcher. Les hommes sont toujours en train de s’excuser de n’avoir pas pu faire autrement. Désolé vraiment pour tous ces hommes désolés de semer la désolation.
Il fait chaud. Les cigales ivres emplissent le ciel de louanges exaltées. Pas un nuage. La lumière passe épaisse entre les lattes de bois des persiennes brossées d’alizés las et lents. Le moindre effort fait loi. Le salaire de la sueur rémunère la plus crasse des paresses. Le frigidaire se caresse des yeux comme un meuble précieux. La buée du verre rafraîchit le front dans un cliquetis soyeux de glaçons. Tout est vacances, calme et vacuité.
Il fait chaud. La plus petite tâche est un exploit personnel. Les rues sont des casseroles, les boulevards des chaudrons. Le bitume en miel noir épaissit l’atmosphère. Les forêts brûlent. Les fumées piquent les yeux. Les incendies boursouflent de cicatrices noires le doux visage de Marianne. L’air se charge de gaz à effet de serre autour de la planète. Les gens ont retiré leurs masques, bouclé leurs valises, fermé les chaînes d’info, acheté des billets de festival, de croisière, de camping avec piscine, de torrent d’altitude, ou de maison pied-dans-l’eau, harcelés de rêves de fraîcheur. Tout nous parle d’oubli. Encore un peu d’oubli, s’il vous plaît.
Il fait chaud. Dirigeants tortionnaires et financiers gestionnaires de tous pays se sont unis pour nous rôtir la vie. La planète est mise sous pyrolyse et les peuples se taisent. Plus les tyrans sont sanguinaires, plus ils sont adulés. Leurs folies destructrices sont une décoration tendue en écharpe sur leurs ventres obscènes. Sous les bombes, les gens se meurent mais les acclament encore. La puissance virile a repris tous ses poils de la bête et les #MeToo féministes n’ont plus qu’à se rhabiller. Le héros est encensé dans tous les médias, les films, les séries, sans oublier les écrans porno qui fascinent nos garçons, les nuits chaudes d’été. Les hommes préparés aux situations de crises, les hommes de guerre affûtés au combat, ceux des groupes économiques internationaux, ceux spécialisés dans les krachs financiers et les bulles boursières, les hommes sérieux, les hommes forts nous font tous les mêmes promesses. Après un rapide calcul, ils nous assurent que si la guerre va coûter cher, la paix est hors de prix. Tremblez femmes trop belles, trop jeunes, trop vieilles ou trop pauvres ! Tremblez enfants perdus ou assistés ! Tremblez les aveugles, les sourd.es, les paralytiques et les insensé.es ! Que le monde tremble, les hommes, les vrais, ont repris la main et ne sont pas près de la lâcher.
Les chaleurs électoralo-râleuses s’éloignant des tintamarres médiatiques, abandonnons-nous aux douceurs de l’été. Convaincus qu’il ne s’est rien passé dans les urnes françaises qui puisse changer le monde, lâchons-nous la télécommande. En France, il y a encore un peu d’abondance. À nouveau nous allons avoir la chance de fêter la musique. J’adore les flonflons ringards des accordéons rances et je biche quand les zimboumboums des grosses caisses en font des caisses. Bien-sûr, si les cris des larsens entrent en scène quand s’engueulent les guitares, je pleure. Ce soir, les yeux me piqueront. J’accuserai la fumée des merguez et les odeurs épaisses des grillades qui rissolent aux terrasses des bars. Je m’accrocherai le cœur aux farandoles d’ampoules multicolores suspendues aux tilleuls de la promenade. Les enfants courront entre les jambes des mères qui danseront légères sur les places des villages et les trottoirs des boulevards. Les pères boiront leur bière, la moustache de travers, humide mais encore un peu à l’air, malgré les vagues prévisions de septième vague d’un méchant variant covido-migrateur. En France, il ne manque ni vaccins, ni semences, ni munitions, à part la moutarde pour les chipolatas. Et en plus, il va y avoir les vacances. Lourds moments anesthésiants de jouissances caniculaires, moiteurs de sueurs et de paresse collante, soirs d’angoisse poisse à diluer d’urgence dans la buée des verres. Le vent sera chaud comme l’haleine des chevaux et le bitume se fera noire mélasse, irradiant sa colère dans le chant des infatigables cigales et les tintements guillerets des glaçons dans la citronnade. Il y aura le vent de la mer, les cris des oiseaux et le soir qui tombe sans crier gare sur le désespoir. Il ne faudra pas céder à la panique, à l’envie brutale de ne pas rentrer. Il faudra garder la volonté de refaire encore ce monde avant qu’il ne se noie dans les famines, les cyclones, les incendies, les inondations et dans leurs guerres, leurs inimaginables guerres qui envoient les jeunes hommes rendus fous par leur propre cruauté mourir dans la boue sanglante de leurs crimes contre l’humanité. Il ne faut pas tarder. La meule des jours, des mois et des années écrase les enfants innocents. Bientôt nous ne pourrons plus supporter leurs regards méprisants.
…quand la passion du théâtre se transmet…
Sur la scène de la salle Claude Domenech, samedi 14 mai, c’était la dernière soirée du 41° Festival théâtral. Le Théâtre de La Lucarne y donnait « Les Pas perdus » de Denise Bonal. Dix comédiens et un pianiste pour faire résonner sur le plateau les pas de voyageurs dans un hall de gare et les mots qui se disent là. Parmi eux une petite fille de dix ans en robe rouge, avec des couettes brunes qui volent ou des nattes très sages. C’est Roxane. Elle n’était pas là pour faire de la figuration, traverser la scène en courant, par exemple, ou rester muette et plantée à côté de ses parents de scène. Non, elle avait deux vrais rôles. Et elle les a assumés, forte, présente et assurée, un visage expressif, une bonne diction claire. C’était ses débuts au théâtre dans une vraie pièce, avec des adultes, au Festival théâtral de Coye-la-forêt…
L’écoutant des coulisses, attendant de rentrer elle-même en scène, il y avait Claude sa grand-mère dans la vraie vie, partageant la même aventure théâtrale.
Comme ce n’est pas si courant, j’ai eu envie de les entendre toutes les deux parler du théâtre et de leur expérience dans cette pièce. Il faisait beau, nous étions dans le jardin toutes les trois bavardant joyeusement…
Coye29 : Claude, en tant que comédiens, qu’avez-vous pensé à La Lucarne de la pièce choisie par Isabelle pour ce Festival ?
Claude : Nous avons été réticents au début, ces petites scènes sans lien, on voyait ça un peu comme des exercices pour une école de théâtre… Les enchaînements, entrées, sorties… cela nous a semblé difficile. Et puis petit à petit nous avons aimé nos personnages et le plaisir du jeu. Isabelle a beaucoup travaillé pour résoudre les difficultés liées à cette pièce.
— Quelles scènes as-tu préférées ?
— Dès le début je savais que je jouerais une vieille femme ! Je me suis attachée à « La chômeuse », à « La femme âgée ». Dans « Le tableau perdu », il y avait du dynamisme, un rythme plus enlevé, et avec « Bastory », nous étions dans un registre plus drôle, avec ce nom de lieu imaginaire vers lequel nous devions partir, et des costumes extravagants qui m’amusaient.
— Et toi, Roxane, comment s’est passée cette année de répétitions ?
— J’ai appris mon rôle très vite, et je me sentais bien. Avec Nathalie, quand on avait fini notre scène « La Nature », on se faisait un check ! (« La nature », c’est la scène où Roxane joue la petite fille qui fatigue sa mère par une succession de «pourquoi ».)
— Quand as-tu commencé le théâtre ?
— Le théâtre, j’ai commencé dans le ventre de ma maman !
Sa grand-mère ajoute : c’était pendant « La Flûte enchantée » avec Comédiens et Compagnie. Son prénom de Roxane est bien sûr lié au théâtre, il vient des personnages de Racine (dans Bajazet) et d'Edmond Rostand (dans Cyrano)...
Roxane a été la plus jeune spectatrice de toute l'histoire du Festival Théâtral de Coye-la-forêt puisqu'elle a assisté à la représentation de « La Nuit des Rois » par Comédiens et Compagnie (31e Festival) à l'âge de 24 jours!
Quand sa maman partait en tournée, elle allaitait encore et je les accompagnais.
Dès son plus jeune âge, deux ans peut-être, elle est venue chaque semaine aux répétitions de la Lucarne. Elle était l’une des plus assidues, et assistait à toutes les répétitions du vendredi soir et souvent le dimanche. Peu à peu elle a même su nos rôles !
Roxane : Ce que j’aimais, c’est quand je pouvais aussi monter sur scène. J’ai adoré la pièce « Klaxon, trompettes… et pétarades » (de Dario Fo au 38e Festival). A la maison, je faisais répéter ma grand-mère. Pour cette pièce, c’est mon frère qui m’a fait répéter.
Je suis aussi les cours que donne maman à l’école de théâtre de La Lucarne.
Coye29 : Le théâtre est donc devenu une affaire de famille pour les Samsoën. Quand as-tu commencé, Claude ?
Claude : Il y a très longtemps… J’ai commencé à l’école de théâtre avec le père d’Isabelle, Claude Domenech. Et puis j’ai intégré la troupe dans « 1789 » — représentée en 1989 pour le 8e Festival. Mes deux filles, Lucy et Marieke, ont joué avec moi cette année-là. Mais c’est ma mère qui m’a donné envie de faire du théâtre, elle-même et ma tante auraient voulu pouvoir le faire. Déjà quand j’allais à l’école, ma mère apportait un soin tout particulier à me faire réciter mes poésies, elle voulait que la diction et le ton soient parfaits. (Ndlr : Je me souviens de Paulette, la maman de Claude, présente chaque soir au Festival.)
A partir de 2001, j’ai aussi suivi un atelier théâtre à La Faïencerie avec Analia Perego. Par la suite, nous avons monté une troupe — Atelier Acte II — dont elle a été metteuse en scène. Je faisais donc du théâtre à Coye-la-forêt et à Creil ! Tous mes week-end étaient pris par le théâtre et mes filles ont suivi (Elles sont maintenant comédiennes professionnelles). Le théâtre est devenu la passion de toute la famille, de ma mère et ma tante à ma petite fille.
— Dans quelles pièces as-tu préféré jouer ? Qu’est-ce que tu aimes au théâtre ?
Claude : J’ai beaucoup apprécié « L’Atelier » de Grumberg, « La Tortue de Darwin », « Les Dames du jeudi », « Kiki l’Indien » de Joël Jouanneau, entre beaucoup d’autres… Difficile de faire un choix.
Au théâtre, j’aime bien l’ambiance… apprendre les textes… donner vie aux rôles… J’aime surtout quand c’est fini ! Je peux enfin lâcher prise et laisser les bonnes émotions m'envahir, je me sens « vidée » et heureuse.J’ai un stress énorme quand approche la représentation, au moins quinze jours avant. Il ne faut plus me parler les deux jours qui précèdent … je suis dans mon personnage, je ne peux penser à rien d’autre. Ma petite fille m’a bien aidée pour « Les Pas perdus », elle faisait mon coach ! Elle a de l’assurance et je n’ai pas eu à m’occuper d’elle pendant la représentation, elle était très autonome, savait comment se préparer en coulisses, assurait ses changements de costume.
Mais nous avons eu une grande peine cette année, Jean Truchaud nous a quittés brutalement. Pendant de nombreuses années il a été notre compagnon de théâtre, d’humeur égale, bienveillant, il préparait cette pièce avec nous. Ce fut un moment très douloureux. Il a fallu le remplacer et nous sommes allés au bout, malgré les difficultés, jusqu’à la représentation.
Le mot de la fin : en dépit du stress dont tu viens de parler, Claude, pourquoi fais-tu du théâtre ?
—Parce que je change de personne, je ne suis plus moi.
Roxane : Quel rôle j’aurai l’année prochaine ?
Voir liens vers articles et photos dans coye29 :
La flûte enchantée en 2009 : http://coye29.com/blogs/blog2.php/2009/05/22/la-flute
La nuit des rois en 2012 : http://coye29.com/blogs/blog2.php/2012/05/21/la-nuit-des-rois
Les dames du jeudi en 2017 : http://coye29.com/blogs/blog2.php/2017/05/14/l
La tortue de Darwin en 2018 :
http://coye29.com/blogs/blog2.php/2018/05/30/la-tortue-de-darwin
Théâtre de La Lucarne
Mise en scène d’Isabelle Domenech
Samedi 14 mai
Denise Bonal aime l'éphémère et les instantanés. Avec "Les Pas perdus", écrit en 1997, elle s'arrête dans une gare et observe ceux qui attendent, qui se pressent, qui se quittent et qui vivent là parfois. La situation du « départ » intéresse un auteur dramatique, car elle est source de tension, elle met les personnages dans une sorte de fragilité, où les émotions se vivent et parfois s’expriment : on se quitte pour une journée peut-être, pour un mois… ou pour toujours. La pièce est faite de scènes à deux ou trois personnages, sans lien entre elles. Pas de fil conducteur, pas d'histoire à suivre. Les trajectoires se croisent mais ne se rencontrent pas. Au spectateur d'être vigilant pour capter en quelques secondes ces bribes de vie, et à partir de ce contact d'imaginer une identité, un passé, et peut-être ce qui adviendra après le départ du train.
Isabelle Domenech a choisi un décor réaliste : horloge imposante, composteur, banquette d’acier, affiches touristiques, bande sonore des annonces… et un piano. Une petite gare sans doute, un peu vide, davantage Orry-la-ville que la Gare du Nord ! Pourtant les dix comédiens l’habitent avec conviction et vivacité, réussissant, chacun en un minimum de temps, à nous intéresser à une situation et à des personnages fugitifs, performance puisque chaque acteur compose plusieurs rôles et se doit de changer de costume et de bagage au plus vite. Il n’a que quelques minutes pour exister.Denise Bonal crée ainsi, avec un regard bienveillant, amusé ou perplexe, un patchwork de vies, une société en réduction : les « nettoyeuses » en blouse bleue, avec balai, parlent des hommes ; un clochard dort dans un coin, deux autres pique niquent au pied de l’horloge : « Sans la gare où on irait ? », demande l’un. Riton est arrêté par des flics, on ne saura jamais pourquoi et il ne prendra pas le train, elle quitte son mari pour aller visiter Bruges, les jeunes filles s’aiment et fuguent, une chômeuse désemparée, un homme qui cherche une mère, une mère qui attend son fils, un voleur de tableau, des familles avec des enfants qui posent trop de questions...
Dans ce défilé de silhouettes, l’attention se fixe un moment sur une vieille dame inquiète, émouvante par sa fragilité — interprété par Claude Samsoën — et dont l’auteure dessine l’histoire. Inquiète sur l’heure du départ, le numéro de sa place, ce qui l’attend à l’arrivée, elle presse son fils de questions, se fait confirmer ce qu’elle sait déjà. Y aura-t-il quelqu’un pour elle sur le quai ? La solitude l’attendra à destination. Elle a été oubliée… L’intérêt de la pièce est là, en quelques phrases une vie se devine, ses ratés, ses pertes, son ennui, les espoirs aussi, les évasions, les amours… Tout est possible dans une gare. Même Titouan au piano, même Roxane qui, à dix ans, prendra le train avec son lapin.
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Les pas perdus, de Denise Bonal (Photos de Julien Lacouture)
Coule le temps, sonne l’heure, le temps passe comme un jour de printemps. Les nouvelles des guerres se mêlent aux annonces de nouveaux gouvernements. Parfois, les évènements glissent sur la peau sans autre préjudice que de creuser des rides. Les premières chaleurs apportent les orages et les roses gonflées d’eau des jardins égouttent leurs lourdes hampes au-dessus des passants pressés. Le temps prend son temps. Le sable file sans heurt dans le sablier. Nous tendons le dos. Même si le ciel est bleu, joyeuses et hautes les hirondelles, il y a des promesses d’orage, de krach boursier, de rayons vides au supermarché, de disette pour les plus vulnérables et de panique pour les banquiers. Les trains roulent toujours entre champs de blé vert et bois touffus. Les villages paressent encore entre les collines. Les gens veulent à nouveau partir en vacances, même si ce n’est pas à l’étranger. Les trottoirs des villes charrient des foules démasquées qui respirent enfin libres la joie d’exister, après tous ces jours gris de pandémie à se cacher les uns des autres jusqu’à craindre de se parler. Mais la peur habite les cœurs. La haine sort des bouches des hommes de guerre sur les écrans funestes des actualités internationales. Les politiciens se traitent de factieux, de fachistes et de fâcheux. Ils ne se donnent pas plus la parole qu’ils ne se prêtent l’oreille. Les gens se lassent de voter. Le plaisir des rencontres remplit à nouveau les théâtres et les restos. L’ambiance retrouvée des comptoirs remplit les verres de besoin d’y croire. Les adolescents sont amoureux. Les soirées s’allongent dans la soie dorée du couchant en pensant à l’été. Il y a quelque chose dans l’air de rose ou d’orange, un reflet d’espérance, un goût de souvenir d’enfance, une envie de vivre qui démange. Mais la clepsydre se vide. Il y a un mais de trop en cette fin de mois de Mai, un mais qui fait regarder les moments d’espoir avec inquiétude, comme s’il fallait déjà en porter le deuil avant de les avoir vécus. La sécheresse fait craindre les famines. Les parents hésitent à parler d’avenir aux enfants qui naissent. Les gens se regardent de travers. Ils se comptent en réfugiés ou en survivants, se chiffrent en contaminants ou en convalescents, s’estiment en amants craintifs ou en angoissés solitaires, se recensent en exploiteurs fébriles ou en prolétaires abusifs, se considèrent en enfants trouvés ou en vieillards déçus et abandonnés. Les gens ont peur même du ciel bleu. En Mai encore, le beau temps, c’est signe de pluie.
Compagnie Viva
Adaptation et Mise en scène : Anthony Magnier
Vendredi, ce fut la fête, telle que Shakespeare la souhaiterait, avec éclat, rythme et allégresse. Et si la fête est conduite par des comédiens vibrants, en mouvement, heureux d’être là, si leur diction restitue le plaisir du texte, alors le public est conquis.
Au cœur de la pièce, deux histoires d’amour… qui finiront bien et triompheront du venin et des pièges des jaloux. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas le dénouement des intrigues, mais tout le jeu habile déployé pour les déjouer. On se cache dans le parc pour écouter les amoureux, on se glisse la nuit sous une fenêtre, on repousse qui l’on aime pour mieux étreindre ensuite. Nous n’avons pas boudé ces plaisirs…
À la comédie de Shakespeare Anthony Magnier a ajouté une surprise savoureuse : il confie aux femmes les rôles masculins, aux hommes les rôles féminins. Le premier tableau donne le ton : en costumes cintrés, noirs à lisérés rouges, bottées de cuir, ceinturon tombant sur les hanches, magnifiques et séduisantes, les femmes font leur entrée en guerrières victorieuses, pendant que les hommes, détendus, les attendent en chemise sur la pelouse. Les plaisirs vont pouvoir commencer... — joutes verbales, jeux de séduction, attirance des corps —, ils furent intenses. Au final, le public exprima sa joie avec élan et remercia les comédiens d’applaudissements prolongés et de nombreux rappels.
Anthony Magnier est venu plusieurs fois à Coye-la-forêt avec sa troupe, qui s’appelait alors Viva la commedia :
En 2006 : « La Princesse folle »
En 2007 : « L’Illusion comique » de Corneille
En 2012 : « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand
http://coye29.com/blogs/blog2.php/2012/05/22/cyrano
En 2015 « Un Fil à la patte » de Feydeau
http://coye29.com/blogs/blog2.php/2015/05/26/un-fil-a-la-patte-1
Aurélie Noblesse — qui jouait Leonata dans ce Shakespeare — était Célimène au Festival de 2018 dans « Le Misanthrope vs politique », mise en scène de Claire Guyot.
http://coye29.com/blogs/index.php/photos/le-misanthrope-vs-politique-d-apres-moliere
Elle fut aussi Marquise dans Aime comme Marquise de Philippe Froget, en octobre 2021 :
http://coye29.com/blogs/blog2.php/2021/10/01/aime-comme-marquise
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare
A la fin de « Téléphone-moi », j’ai pleuré et communié dans le silence de la dernière scène avec la salle entière. Le lendemain, j’ai jubilé durant toute la pièce « Je te pardonne, Harvey Weinstein » et j’ai défendu la pièce auprès de personnes qui avaient eu des échos de sa « vulgarité gratuite ». J’ai admiré la scénographie, le jeu des acteurs et le texte de Pierre Notte dans « L’homme qui dormait sous mon lit », sans entrer complètement dedans. Par la voracité verbeuse de l’homme et son emprise sur la femme, « La Fragilité des choses » m’a dévastée… « Désir » m’a donné des ailes et l’envie de lire « La Princesse de Clèves »… Pourtant, que j’adore la pièce ou que je l’apprécie simplement, qu’elle m’insupporte ou que je m’ennuie, je ne reste pas après les spectacles pour échanger avec les comédiens et leurs partenaires. J’ai essayé de comprendre mes réticences et je vous livre quelques unes de mes réflexions : fausses excuses ou bonnes raisons, à vous de juger.
Demain je travaille et le temps de rentrer, il est déjà 23 h (ou minuit…). Et moi, si je ne dors pas mes sept heures…
Là, je suis trop submergée par l’émotion. J’ai envie de rester dedans le plus longtemps possible, de prolonger le spectacle dans un temps suspendu. Alors, avoir quelque chose à dire sur la pièce qui m’a enchantée, sortie de mon quotidien, ou entrer dans son analyse ne m’intéresse pas.Si le spectacle m’a mise mal à l’aise, je veux quitter au plus vite cette atmosphère délétère. J’aimerais bien avoir la confirmation que le comédien n’a pas cette voix affreuse et cette laideur inquiétante dans le civil, mais je ne me sens pas de taille à affronter la possibilité qu’il soit « à la ville comme à la scène ».
Pour être honnête, j’ai déjà participé à des bords de scène après une représentation. J’ai souvent été déçue. Pas par les acteurs (j’entends par là non seulement les comédiens, mais aussi les metteurs en scène, auteurs, ou autres personnes qui ont travaillé à la pièce), c’est le public qui me dépite. Moi en premier ! « Quelle performance ! Combien de temps avez-vous mis pour arriver à ça ? Comment est né ce projet ? » Les acteurs ne sont-ils pas blasés, fatigués de répondre toujours aux mêmes questions ?
La scène se répète. Il y a les regards béats d’admiration des uns qui se contentent d’écouter, trop heureux d’être proches des artistes. Il y a les questions techniques des autres, qui veulent qu’on nous révèle tous les artifices mis en œuvre. Sans oublier les envolées savantes de celles ou ceux qui ont déjà tout lu de l’auteur, vu toutes les mises en scène, et veulent le montrer.Pour corroborer ces souvenirs en vue de cet article, je me suis forcée à rester à une rencontre dans le hall du centre culturel. Ça a mis du temps à démarrer. Le temps de tirer des chaises et des bières. Puis les remerciements du directeur du festival. Puis le silence gêné avant que quelqu’un se lance. Et puis, il faut l’avouer… j’ai passé un très bon moment ! Du coup, je suis allée à une deuxième rencontre et je me suis régalée. Et pas seulement de bière !
Avec le regard complice de Xavier Lemaire
Mise en scène de Xavier Lemaire
Cela pourrait être un cours d’histoire sur Algérie entre 1956 et 1962, mais ça ne l’est pas, c’est un parcours d’histoire, conduit par Pierre-Olivier Scotto et Xavier Lemaire, un parcours de l’histoire des gens qui vivaient là dans ces années sombres, pendant ce que l’on a appelé longtemps les « événements d’Algérie » pour ne pas prononcer le mot « guerre ». La pièce est construite par petites touches, dira Xavier Lemaire lors de la rencontre avec le public, presque comme un tableau impressionniste. Dans une succession de trente-quatre scènes, le public visite des personnages et des groupes très divers les uns des autres, mais liés par la guerre et reliés par une appartenance familiale, des sentiments, des émotions, des rapports de domination, de sujétion, de rivalité ou des affrontements. Il ne faut pas moins de douze comédiens dirigés par l’énergie et la passion de Xavier Lemaire pour composer ce tableau ; ardents et justes, ils assurent plusieurs rôles, passent d’une scène à l’autre, d’un lieu à l’autre, avec une vivacité qui étourdit, d’un enterrement à un repas dans la cour, de la plage à une cache du FLN, d’un bar de Montrouge à une cave où l’on torture…
Non loin d’Alger, au centre de l’histoire, une famille de pieds noirs est installée là depuis plusieurs générations. Marthe, la « patronne », après la mort de son mari, a pris les commandes de l’huilerie Sergenti, elle y règne en maîtresse femme dans un tourbillon de vivacité et de passion — Bravo à Isabelle Andréani. Le repas rassemble dans la cour toute la tribu qu’elle dirige, enfants, ouvriers, serviteurs… Et le récit peut commencer, celui de France, la fille de la maison, celui des ouvriers gagnés à la cause du FLN, celui du soldat envoyé de la métropole pour une « mission de pacification », celui de Mokhtar amoureux de France, qui se bat pour l’indépendance, celui de Roger, un voisin pied noir… Les fils se croisent autour de Marthe et d’une histoire d’amour impossible entre sa fille et un arabe…Xavier Lemaire aime composer des tableaux avec ses personnages dans un décor qui se prête à tout : bord de plage pour les amoureux, estrade pour le chanteur du Déserteur, quai du port d’Alger… Les deux scènes qui encadrent la pièce sont visuellement très réussies, en France l’enterrement et sa forêt de parapluies noirs, à Alger sur le quai où s’alignent ceux qui regardent « de l’autre côté de l’eau ». Nous nous rappellerons avec émotion l’image du final : les douze comédiens côte à côte, le drapeau algérien tenu à bout de bras par les uns, le drapeau français qui flotte jusqu’au sol devant les valises de ceux qui s’exilent…
Le salut des comédiens déclencha une ovation du public et de très nombreux rappels. Il était d’autant plus émouvant que ce soir-là la troupe donnait sa dernière représentation de la pièce.
Xavier Lemaire est déjà venu à Coye-la-forêt pour le Festival de 2012, nous nous souvenons encore de L’Échange de Claudel : Isabelle Andréani était à ses côtés, ainsi que Grégori Baquet et Gaëlle Billot-Danno.
Retrouvez-les sur coye29 :
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LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Là-bas, de l’autre côté de l’eau, de Pierre-Olivier Scotto
Mise en scène de Blandine Pélissier
Avec Morgan Peters
Dans nos souvenirs de lycée, Iphigénie est en Aulide, destinée à être sacrifiée par son père Agamemnon afin que les vents se lèvent et mènent ses vaisseaux jusqu'à Troie…
Avec Gary Owen ce sera à Splott. Le nom écorche l’oreille, on dirait une onomatopée de mépris ; et l’on on imagine une réalité plus rude que les rivages grecs… Splott, c’est la banlieue de Cardiff, en Pays de Galles, région sinistrée par le chômage, les fermetures d’usines, de commerces… un monde que l’ère Thatcher a contribué à casser, laisser rouiller et qui est resté défiguré. Les films de Ken Loach nous en ont montré des images.
C’est là où ou vit Effie. Aucun réalisme sur le plateau pour représenter ses lieux de vie ou de parcours. La nudité. Rien pour colorer ou faire joli. Juste deux portières en lames de plastique opaque, accrochées dans les cintres, pour donner de la profondeur, un bloc de mousse gris pour tout faire : le canapé où elle s’affale, le lit pour les nuits et journées de sommeil, pour l’amour aussi, la table où sa Mémé lui laisse de l’argent, le comptoir du bar où elle se saoule, la salle d’hôpital…
Lumière et musique feront le reste : les éclairages de Ivan Matthis — vert pour le bar et la vodka, blanc cru pour danser rue Sainte-Marie, rouge pour aller boire ailleurs… La création musicale de Loki Harfagr est une vraie présence, parfois métallique, grinçante, parfois en sourdine, éclatante, ou lancinante, elle suit le parcours de Effie dans le bar, qui s’enivre, danse, crie ; elle chuchote aussi la douleur, la tendresse, l’amour…
Avant que le spectacle ne commence, la comédienne est déjà sur le plateau. Assise, jambes croisées, elle observe les spectateurs à leur entrée, qui discutent, envoient les derniers textos, prennent leur temps pour s’installer. On est encore dans la lumière et elle attaque déjà, interpelle, provoque. On sait alors qu’elle ne nous lâchera pas, que nous ne la lâcherons pas. Elle est belle et visite avec flamme, force et colère tout le plateau dans son habit d’adolescente, ou de femme jeune. Toute en gris et noir. Short court sur collants noirs, débardeur gris tout mou qui glisse, tignasse courte et pas coiffée.
Morgan Peters tient seule la scène pendant presque deux heures, le public est suspendu à ses mots, ému, captivé, révolté, amusé... Car c’est toute une vie qui passe devant nous, celle d’une enfant qui murmure « papa », d’une ado survoltée et rebelle qui jouit de heurter, se délecte de mots vulgaires, s’enivre pour oublier la vie qu’on lui a faite, pour encaisser la pauvreté, la solitude, la laideur du monde qu’on lui a fabriqué. Elle est aussi d’une femme qui s’éblouit de l’amour soudainement là qui donne l’espoir de construire.Mais Iphigénie doit être sacrifiée… on le sait.
L’auteur de la pièce fait de Effie la porte-parole d’une classe sociale sacrifiée, qui a « encaissé » le manque de tout, manque d’argent, de travail, d’avenir, de logement décent, qui a encaissé la destruction des usines, des paysages, le chômage, la pollution, le délabrement de l’hôpital…
« Mais qu’est-ce qui se passera le jour où on pourra plus encaisser ? » demande-telle avec colère au public avant de s’effacer dans l’obscurité.
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Iphigénie à Splott, de Gary Owen
Mise en scène Sylvia Bruyant
Avec Sylvia Bruyant et Delry Guyon
Tout a un air un peu désuet et déglingue, le fauteuil est usé, le lampadaire de travers. Il ne manque qu'un vieux tapis râpé pour parfaire le décor. Madame traîne une robe bleue, qui fut belle sans doute, mais qui est terne et défraîchie aujourd'hui. Le serviteur porte encore le costume queue de pie mais il boîte à présent, son pantalon présente un accroc et les gants qui furent blancs sont désormais grisâtres. Grandeur et décadence ? Non, car la dame ne fut jamais grande, elle a gagné son argent à la sueur de son corps dans des lieux interlopes dont elle aime mieux ne plus parler. Cabourg, c'est quand même plus chic qu'Ostende. Même si, à force de travail et de contrainte, Madame cherche à dissimuler d'où elle vient (son serviteur depuis dix ans essaie de lui apprendre les bonnes manières), parfois le naturel ressort, se traduisant par sa vulgarité dans le langage et dans les gestes, quand elle relève sa robe jusqu'aux genoux ou quand un "Bon Dieu de bordel de merde" lui échappe. On ne quitte pas comme ça sa condition, les barrières sociales restent infranchissables. Pour ne pas reconnaître cette cruelle réalité, il ne reste plus qu'à s'échapper dans le rêve et feindre de croire que les invités viendront ce soir.
Tandis qu'un feu flambe dans la cheminée, on imagine que derrière les tentures la table est dressée et Madame attend Armand. Pourtant ce soir, comme tous les soirs, la salle à manger restera silencieuse et déserte, et, comme tous les soirs, Gork ira moucher les chandelles. Car on est, avec cette "Fin de service" comme dans "Un jour sans fin", à rejouer indéfiniment les mêmes scènes : LA DAME – une vieille "catin décatie" comme aurait dit Bobby Lapointe – et GORK – qui, désespérément amoureux, s'est mis à son service pour ne pas la quitter – s'envoient des vacheries pour avoir l'air d'exister encore.
Le temps s'est arrêté quand Madame a rencontré Armand. Les horloges ne fonctionnent plus et le cerveau de Madame s'est fixé, figé sur le souvenir de cette rencontre. Depuis elle se rejoue sans fin le même scénario. Dans cette pièce qui relève du théâtre traditionnel bourgeois par la façon dont elle est mise en scène, on assiste en fait à une superbe mise en abyme : les comédiens – Sylvia Bruyant et Delry Guyon – jouent des personnages – La Dame et Gork – qui, eux-mêmes jouent des personnages – une grande dame et son serviteur. Ils font du théâtre. Dès la première scène, l'auteur nous rappelle que le théâtre, ce sont des phrases apprises par coeur et répétées, et c'est (entre autres) un texte écrit qui doit être respecté dans sa littéralité et joué avec conviction : c'est Gork qui donne une leçon de théâtre, en rappelant qu'il ne faut pas « réciter le texte de façon mécanique » et que tous les mots ont leur importance (« Vous avez omis de dire "Oh !" Cette interjection est cependant nécessaire car elle marque votre émotion immédiate.») Du fait de cette mise en abyme, on ne sait plus à quel niveau on se situe (Gork prétend avoir écrit le texte, alors que c'est Yves Garnier qui en est l'auteur), on ne sait plus si on est au premier ou au deuxième degré, si on se situe dans la réalité ou dans l'imaginaire, le fantasmé, quand les personnages eux-mêmes délirent, Madame rejouant les scènes d'amour avec Armand, Gork nourrissant son chien fantôme des reliefs d'un repas qui n'a jamais été préparé. Aussi quand Madame s'exclame : « Mais votre chien n'existe pas », Gork peut lui répondre : « Pas plus que vous, Madame ». Au théâtre, le réel n'existe pas, seul comptent le juste et le vrai. Car tout n'est que fiction, illusion, invention, création et les spectateurs acceptent d'y croire : c'est le propre du théâtre. Tous les soirs se rejouent les mêmes scènes – qui se jouent en matinée aussi parfois. Le personnage de Gork enlève son plastron et ses gants, il n'a pas de chemise sous sa veste, tout n'est qu'apparence ; et par le même geste, le comédien quitte son costume, tout n'est qu'illusion.
« Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil », écrivait Shakespeare dans "La tempête". Avec beaucoup d'humour, l'auteur peut faire dire à Gork qui vient d'administrer une bonne dose de poison à Madame : « Dans dix minutes, un quart d'heure tout au plus, vous en aurez fini.» En effet dans un quart d'heure, dans la pièce Madame sera morte et au théâtre, après les applaudissements chaleureux, les comédiens auront rejoint leur loge et revêtu leur tenue de ville.
Adaptation et mise en scène de Tristero et Énervé
Avec Youri Dirkx, Eno Krojanker, Hervé Piron, Peter Vanderbempt
Plantés sur le plateau, à bonne distance les uns des autres. Rien dans les mains, rien dans les bras, rien sur le dos, mais un Stetson sur la tête. Pied ferme, le regard au loin, la pose étudiée, un déhanché suggestif ou l'option verticalité. Immobilité. Tout est dans la posture, et dans le costume. On se la joue Ok Corral — sans Burt Lancaster. Ou Le bon la brute et le truand, mais là ils étaient trois, ici ils sont quatre. Et on attend... On attend qu'ils parlent ou qu'ils dégainent... pas pressés quand même. Alors on retient son haleine : qui tirera le premier ? On a du temps pour lorgner les costumes et se repasser en visio interne tous les westerns de notre jeunesse, Rio bravo, La poursuite infernale etc. On attendrait presque que John Wayne ou Gary Cooper poussent les portes du saloon. Bon, y a pas de saloon... Mais on dirait que.
Bien sûr devant nos yeux on n’a qu’un banal plateau de théâtre, noir et tout nu. Il y a juste dessus une espèce de panneau à l'envers et qui attend de servir à quelque chose. Ça ne fait rien. Nous, on voit à perte de vue les grands espaces du Colorado, la poussière des chemins caillouteux qui fument après le passage de Clint Eastwood.
Vous ne saviez pas en arrivant ce soir au Centre culturel que vous verriez tout ça. Eh bien si! Et pour montrer Dodge City les metteurs en scène n’ont pas eu besoin de vidéo. Il leur a suffi d’être aussi des comédiens performants, qui viennent de Belgique habillés en cow-boys.
Mais attention ! Pas habillés n'importe comment avec un chapeau mou et des bottes en plastic. Non. La classe! Le manteau long de cuir marron, qui flotte derrière le dos, le jean d'origine, le Stetson authentique, les santiags qui galbent le mollet, la chemise à carreaux, le col de chemise resserré par la chaîne en or, le costume moulant d'un turquoise qui claque, le pantalon du gardien de troupeau, en daim, avec cuissardes qui montent jusqu'à la ceinture, le gilet peau de mouton, les bouclettes dans le cou... Bref, tout pour faire des cow-boys parfaits et rutilants. Bien repassés.
Ils se retrouvent souvent, les quatre copains, le week-end ... On ne va pas vous dire ce qu'ils font, car pour l'instant ils ne font rien, ils sont en attente. Au comptoir d’un bar peut-être, ou sur la place de la mairie...
La conversation est lente à démarrer... « Il m'a dit un truc... Alors je lui ai dit... Je vais pas le répéter... Je vous l'ai déjà raconté... Vous le savez déjà... Ça je l'ai déjà dit... Je voulais vous parler d’un truc… » La banalité des mots du quotidien, creux, qui se répètent, qui tournent à vide. Et pourtant on rit de la caricature, des mimiques, des regards, de toutes les phrases qu’ils ne disent pas et que l’on imagine.
Quand ils abordent la question des femmes, ou quand ils parlent boulot, les dialogues épaississent, la tension monte, ils se déchaînent. Car ils en ont marre, ces quatre- là, ils sont en colère, ça suffit les mensonges, les petits salaires, la vie étriquée, étouffante, les humiliations, la routine, ils voudraient une autre vie. Ils vont se révolter contre le chef, et foncer ailleurs dans leurs costumes de héros du Far West.
On n’a peut-être pas d’aussi beaux costumes qu’eux mais il y a des ressemblances… quand on se retrouve entre copains, au Régent, chez P'tit Louis, ou au City park, dans les vestiaires du foot ou de la gym, au marché... au p’tit pont… dans le train du soir… quand on se retrouve dans la salle Claude Domenech du Centre culturel, à Coye-la-forêt, un jeudi soir… pour rêver d’une autre vie.
Quelle bonne soirée nous avons passée ! Merci Marc, Eddy, Michel et Bruno. Merci pour nos rires, pour votre bel accent, merci pour vos rêves et pour vos si beaux costumes (et dites merci à Marie Szernovicz qui les a choisis pour vous).
Prêtez-les nous de temps en temps.
Calamity Jane
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Desperado, de Ton Kas et Willem de Wolf
Texte et mise en scène d’Antoine Lemaire
Avec Maxime Guyon et Paola-Lili-Ribero
C’est noir. Pas d’échappatoire, l’enfermement.
L’enfermement dans une chambre, dans la misère, dans les comportements stéréotypés du masculin et du féminin. Le masculin : je domine, je manipule et je tente de jouir. Le féminin : j’ai appris à subir, donc j’endosse mon rôle et je subis, même si je tente le refus.
Deux personnages dans une chambre. Lui, c’est sa chambre mais il devait aller à une fête avec sa copine. Elle l’a jeté, alors il est revenu chez lui, avec sans doute l’envie de voir quelle était cette fille (de s’en servir ?) qu’un copain lui avait demandé d’héberger pour une nuit, en dépannage.
Elle est à Paris pour passer le concours d’entrée à la Fémis, une école de cinéma. Christophe, son frère, lui avait dit qu’un copain lui prêterait sa chambre pour la nuit. Le lendemain elle se présenterait au concours.
C’est donc une rencontre de hasard entre deux êtres cabossés par la vie, dont l’auteur imagine l’évolution et les étapes.
Lui, il sait déjà qu’il tentera de la séduire (euphémisme) bien qu’en aparté il dise le contraire. Désabusé, aigri, rempli de colère, une voix lente qui méprise les autres et lui-même.
Elle est encore naïve et joyeuse, compatissante, elle écoute ses malheurs, prête à le consoler. Et elle le consolera — la manipulation réussit — sans l’avoir désiré, sans oser refuser ce qu’il demande. C’est son rôle de consoler, elle a si bien appris à consoler sa mère…
Elle a tenté une sortie et l’on avait envie de crier : Va-t’en, cours, sors de là ! Non, pas de sortie, pas d’espoir.
Maxime Guyon est convaincant dans son personnage de fatigué de la vie, qui se meut avec lenteur dans un pantalon trop long et trop large, le dos voûté, la voix traînante. Paola-Lili Ribero rafraîchit, vivifie dans sa petite robe rose à deux sous. Elle est capable de résister parfois, de s’indigner, donc on se dit qu’elle aura la ressource de s’opposer ou de fuir, de casser le mur. On veut y croire.
La mise en scène d’Antoine Lemaire tire parti de cet enfermement : pas de place dans la chambre, on s’y contourne, on va du lit de camp au fauteuil en évitant de se toucher. Au fond, une table de maquillage qui intrigue, avec un miroir entouré de spots, une perruque rouge. On se demande qui peut bien se maquiller dans cette chambre… La progression dramatique de la pièce et son intensité viendront de là. Images poignantes d’une capitulation et d’un désespoir infini.
Évidemment on ne quitte pas le théâtre en chantant.
Maxime Guyon est déjà venu à Coye la forêt en 2018 pour la pièce de Duncan McMillan, « Séisme ».
Voir article dans coye29 : http://coye29.com/blogs/blog2.php/2018/05/18/seisme
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : La fragilité des choses d’Antoine Lemaire
De Madame de Lafayette et Lise Martin
Mise en scène d’Anne-Frédérique Bourget
Avec Yolanda Creighton et Benoît Margottin
« Il parut alors une beauté à la Cour, qui attira les yeux de tout le monde… »
Ainsi commence, sous la plume de Madame de Lafayette, le portrait de Mademoiselle de Chartres, appelée à devenir Princesse de Clèves.
La magie opère immédiatement, tant la comédienne, Yolanda Creighton, sollicite l’écoute d’une voix pleine et sûre, capte la lumière et retient les regards par sa blondeur et sa sensualité. Le plateau nu de Coye-la-forêt, où elle répète son texte, devient la cour d’Henri II rassemblée pour un bal. Et l’on ne s’étonne pas d’y voir surgir avec bruit de bottes et cape virevoltante, celui avec lequel la Princesse dansera, le Duc de Nemours, éblouie déjà par « l’air brillant qui était dans sa personne. » Benoît Margottin ne déçoit ni nos attentes, ni celles de la comédienne, non plus que celles de Madame de Clèves. Beau, grand et souple, un corps de sportif joint à une délicatesse de la démarche et de la parole. Comme elle, il s’empare des lieux, des regards et de l’écoute.
Tous les deux ne peuvent que s’aimer…
La mise en scène d’Anne-Frédérique Bourget étourdit. Bien sûr elle donne d’abord à entendre les scènes les plus connues du roman de Madame de Lafayette : la rencontre entre deux êtres présentés comme exceptionnels, la montée des désirs et de la passion amoureuse — la diction parfaite des comédiens restitue la saveur de la langue du XVIIe siècle.
Mais cela ne s’arrête pas là, comme un jeu de poupées russes : Il y a d’abord sur le plateau de Coye-la-forêt deux comédiens, Yolanda et Benoît, qui jouent dans un spectacle au 41e Festival théâtral.
Ils jouent le rôle de deux jeunes gens, l’une comédienne, venue dans une salle qu’elle a réservée pour répéter le texte de « La Princesse de Clèves », lui acrobate qui doit s’entraîner aux sangles pour une prestation future. Il la perturbe d’abord dans son travail de comédienne : comment réciter un texte quand, à côté de soi, un gymnaste multiplie les exercices ? Comment se concentrer quand son corps vous attire, comment s’échapper quand il vous touche ? C’est là que naît et s’épanouit le désir.
Le troisième niveau du spectacle est à la cour d’Henri II, dans une salle de bal, dans un tournoi, un jardin, un cabinet secret ou une chambre… où Madame de Clèves et Monsieur de Nemours se découvrent, se retrouvent, se cherchent et se perdent…
Trois niveaux de lecture, deux époques, des va-et-vient entre les XVIIe et XXIe siècles.
Pour basculer d’un siècle à l’autre, la simplicité : nul changement de décors, mais les éclairages — une quasi pénombre pour les temps lointains, et pour l’époque contemporaine la crudité de la lumière. Les éclairages, des chansons et le texte contemporain de Lise Martin.
Il est impossible de ne pas parler du tourbillon imaginé par la metteuse en scène, le spectacle est visuellement magnifique : agrippés à deux sangles, dans la pleine lumière, les comédiens voltigent, les corps se frôlent, se touchent, s’enroulent, s’étreignent. Leur danse érotique devient l’écho du bouleversement des amants du XVIIe, comme une illustration de la force et de la vibration de leurs regards.
Quart d’heure nostalgie : en rentrant chez moi après le spectacle, j’ai voulu prolonger les émotions et j’ai pu retrouver, émue, « ma » Princesse de Clèves, jaunie, marquée par le temps et les lectures, dans une édition de la Librairie Alphonse Lemerre de 1952, avec les anciennes graphies du XVIIe, quand on écrivait le « foir » pour le « soir », et Clèves sans accent grave… J’avais écrit au crayon sur la première page mon nom et ma classe 2nde B... Pincement au cœur.
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Désir, de Madame de Lafayette et Lise Martin
Texte, musique et mise en scène de Pierre Notte
Compagnie Les gens qui tombent
Avec Pauline Chagne, Marie Notte, Pierre Notte
Et au piano : Clément Walker-Viry
On est au cabaret, car il y a des paillettes, un piano et deux sirènes magnifiques qui chantent et dansent, entraînant toute la salle dans une sarabande délirante à travers les siècles, les mythes et les lieux. Près d’elles un homme… pauvre roi à détrôner, qui cherche une femme, qui commence avec une couronne et termine en slip. Sus aux prédateurs sexuels et vive les femmes ! Ici le combat féministe se mène avec brio par le rire, la dérision, l’humour décapant, l’intelligence et le talent.
Pierre Notte remet les pendules à l’heure, pulvérise les mythes, les contes, les affirmations pseudo-scientifiques —par exemple sur le poisson-clown et la vitalité des spermatozoïdes — comme les idées reçues, apprises, bien enfoncées dans le crâne depuis les temps bibliques — femme faible, de condition inférieure, de second plan, dont on peut se servir — depuis Ève et Peau d’âne, en passant par Hélène de Troie et la petite fille de huit ans sous le regard de l’homme dont les yeux de loup voient en elle la jeune fille de 14 ans qu’il dévorera.
Non, on ne pardonne pas.
On remercie Pauline, Clément et Marie qui nous ont fait décoller… Avec lui et avec elles la musique fut là toute la soirée et le spectacle s’envole. On leur offre une ovation et on salue l’auteur-comédien-metteur en scène-musicien que le Festival de Coye-la-forêt accueille pour la seconde fois.
Avec Pierre Notte tout est surprise, il casse les codes, rompt le rythme, change de ton, prend le contre-pied. La crudité violente de paroles de chansons est sous la grâce de la gestuelle, travestie par le velours et la pureté des voix, servie par le piano. On est au cabaret mais on y dit le viol et la mort des femmes, on y dresse la liste des sévices — et celle des harceleurs — le compte des féminicides se fait en chanson.
Et en clôture, une chanson pour l’Ukraine…
Décidément on ne pardonne pas.
Retrouver sur coye29 le spectacle de Pierre Note au 40° Festival : « L’effort d’être spectateur »
http://coye29.com/blogs/blog2.php/2021/10/08/l-effort-d-etre-spectateur
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Je te pardonne Harvey Weinstein
De Jean-Christophe Dollé
Mise en scène : Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Production f.o.u.i.c
Brillante ouverture du Festival avec ce spectacle. Beau, tonique, violent et tendre, émouvant, exaltant et déchirant… comme le sont parfois nos vies. L’auteur de la pièce, Jean-Christophe Dollé, sait tout faire, il crée du texte et de la musique, il joue. Et associée à la comédienne Clotilde Morgiève, il met en scène. Pour le spectateur le talent de comédien est essentiel, au centre du spectacle. Et nous avons eu la chance de vivre deux heures avec quatre acteurs talentueux, vivants, énergiques, qui ont fait exister des personnages dans lesquels nous nous sommes retrouvés. Je ne me priverai donc pas de saluer aussi Solenn Denis et Stéphane Aubry, également occupants provisoires de cabines téléphoniques.
C’est une histoire simple qu’ils disent dans leurs cabines, une histoire de vie, une histoire de famille, des grands-parents à la petite fille, qui elle-même s’apprête à devenir mère. Cinquante ans défilent sur scène, comme les pages d’un livre. Trois années sortent de l’ombre, points de repère dans le déroulement de ces vies, trois époques, représentées par trois cabines téléphoniques : 1945 la libération de Paris, 1981 l’élection de François Mitterrand, et enfin 1998, l’exploit de l’équipe de France de football.
La Musique et la bande son accompagnent la marche du temps — bruits de bottes, roulement d’un train, cris de liesse, hurlements de passionnés de foot, hard rock, La Norma à l’opéra… Sur fond de marche du monde et de l’histoire, à l’écart des rassemblements de foules, il y a les solitaires dans les cabines. Les éclairages les isolent, celui qui appelle ou qui attend l’appel. On y entend des histoires de solitude, de drames familiaux, de liens qui se sont coupés. A nous de retrouver ces liens dans les dialogues qui s’entrecroisent et font fi d’une chronologie linéaire. Les lignes sont brisées. Et dans cet éclatement la cabine devient ainsi un nid, un refuge, une chambre, un abri dans la rue. Eclairées tour à tour, plongées dans le noir, elles dessinent sur scène des tableaux. Parfois une bougie y vacille, parfois un éclair éblouit. On y crie, on y chuchote, on y hurle sa douleur et sa colère, on appelle au secours, on rit aussi, on y fait des rencontres, on y connaît l’amour… La cabine est devenue le monde où se concentre la vie.
Le public de Coye-la-forêt a vibré et a énergiquement applaudi les comédiens comme la réalisation du spectacle. Il faut dire que la troupe est très appréciée à Coye-la-forêt où elle a déjà produit deux autres pièces de Jean-Christophe Dollé : « Mangez-le si vous voulez » en 2014, et en 2021 « Je vole… et le reste je le dirai aux ombres.»
Le texte de la pièce est édité aux éditions Les cygnes et disponible avant spectacle sur le stand de la librairie du festival dans l’entrée du Centre culturel.
Retrouver dans coye29 :
http://coye29.com/blogs/blog2.php/2014/05/24/mangez-le-si-vous-voulez
Lien vers la galerie photo : Téléphone-moi, de Jean-Christophe Dollé
Belles promesses que celles du printemps ! Cloches et clochettes tintinnabulent dans les sous-bois mauves et blancs, pastel et lavis des couleurs de la vie. Belles sont les promesses des fleurs, belles comme le jour de gloire quand il est arrivé, belles comme la nuit étoilée quand van Gogh s’est levé, belles comme les flous vibrants des toiles de Monet ou les doux ombrages de celles de Renoir. Les promesses des gens, en revanche, ça ne s’écoute pas et celles des présidentiables ne se regardent que du bout des yeux. Tel Ulysse de l’Odyssée, bouchons-nous les oreilles pour approcher le rocher des sirènes. Bouchons-nous les oreilles et fermons les yeux. Nos urnes deviendront sereines, cornes d’abondance de soleil, de vacances, de champagne et d’amitiés. Nous aborderons en souriant campagnes électorales et débats télévisés. Le rêve emboitera le pas au sommeil. Foin des hiers qui pleurent, nous garderons au cœur les lendemains qui chantent et qui fredonnent en chœur les hymnes insolents des révolutions douces. Dormons ce soir sur la mousse de l’espoir des rires d’enfants. Oublions que les trompettes de la renommée sont bien mal embouchées. Demain on rasera gratis, oublions que nous avons payé cher hier pour qu’on nous tonde. Gavons-nous de délicieux mensonges fourrés de boniments. Suçons leurs bobards au caramel mou. Laissons tomber nos paupières fatiguées en lourds rideaux de velours rouge sur le théâtre des fourberies médiatiques des Scapins politiques. Goûtons l’illusion. Nausées, maux de tête et gueule de bois, le réveil sera délicat. Le plus difficile quand on avale les couleuvres, c’est la digestion. On le sait. Mais on y retourne. On sait que « c’est des menteries », qu’ils ne feront pas ce qu’ils ont dit pour toutes les bonnes raisons qu’ils nous expliqueront pour oublier qu’on les a crus. Quand la grand-messe des promesses bat son plein, les fidèles n’ont pas besoin d’avoir la foi. Les orgues, l’encens, les fleurs des vitraux, les psalmodies plaintives et les cantiques dans les micros suffisent toujours à remplir quelques églises, temples et mosquées. Et puis, ils ont des clochettes dans le chœur et des cloches au clocher. J’ai oublié les synagogues, erreur en ces temps où chaque temps de parole, chaque droit de regard et chaque petite phrase nous sont comptés. Même les indécis, les athées, les votes blanc et les abstentionnistes se prêtent au jeu. Il faut bien y croire quand même un peu, même si ça ne sert à rien, même si on a brûlé Notre-Dame.
Le 4 mai 2017, je signais une tribune libre dans coye29 que j'intitulais "Je déteste Macron", dans laquelle j'écrivais (pardon de m'auto-citer, mais je ne formulerais pas les choses autrement aujourd'hui) : "Macron, c'est le libéralisme brutal, arrogant, insensible, c'est la loi-travail contre laquelle on a manifesté pendant des mois, c'est la dérégulation massive, la perte des acquis sociaux les uns après les autres, c'est le triomphe des traités de libre-échange, le rouleau compresseur de la mondialisation, c'est-à-dire la toute puissance de la finance et des multinationales, l'écrasement des peuples sous l'austérité pour la plus grande prospérité des actionnaires, Macron est un ennemi de classe. Il suffit de regarder la composition sociologique des votes après le premier tour : majoritairement, qui vote Macron ? Les classes aisées et supérieures, celles qui n'ont pas de problème et qui ne se trouvent pas trop mal dans le monde tel qui est. Macron, c'est la poursuite du modèle actuel, c'est l'épuisement des ressources de la planète et le désastre écologique annoncé. Avec Macron, on va droit dans le mur et on y va vite." Je pourrais ajouter : Macron, c'est le report de la retraite à 65 ans, à un âge où la moitié de la population active est éloignée du travail, soit en maladie soit au chômage, quand les jeunes ont tant de mal à entrer sur le marché du travail. Macron, c'est les mensonges droit dans les yeux, la poursuite de la suppression des lits à l'hôpital, malgré la pandémie. C'est la destruction programmée des services publics, dépecés de façon systématique et vendus au secteur privé (après l'hôpital, l'énergie, les transports, l'école, l'université...). C'est la violence policière à l'encontre des manifestants. C'est le creusement des inégalités. C'est tout ça et bien d'autres choses encore, notamment la volonté de relancer l'économie sans limite dans l'ignorance absolue des problèmes écologiques et de la crise climatique. Que les gens de droite se rallient à Macron et votent pour lui, ça paraît logique. Mais les gens de gauche ? J'en connais qui avaient voté Macron dès le premier tour en arguant que c'était un "vote utile". Ils ont pu se tromper il y a cinq ans, mais aujourd'hui ?
Pour les "vrais" gens de gauche se pose la question du vote au premier tour dimanche prochain. Il ne faut pas que les voix s'éparpillent et donc, de fait, se perdent sur les différents candidats dits de gauche : ils sont six à se présenter et le risque est fort de retrouver pour la troisième fois dans notre histoire un.e Le Pen au deuxième tour. Le seul candidat susceptible de nous éviter ça, tout le monde le sait aujourd'hui, c'est Jean-Luc Mélenchon, quelles que soient les réticences que le personnage inspire. Oui il s'emporte, il vitupère, aux yeux de certains il apparaît comme extrémiste, dictateur en puissance, tout ce que vous voudrez... N'empêche qu'il est le seul à pouvoir nous éviter un retour du même scénario, avec les mêmes personnages dans cette mauvaise pièce où la droite et l'extrême droite font semblant de se confronter alors qu'elles sont fondamentalement d'accord sur tellement de points.
Pour nous éviter cette répétition désespérante, il n'y a pas d'autre solution que voter Mélenchon, pas pour que Mélenchon gagne, il ne faut pas rêver ! (ou cauchemarder, c'est selon), mais pour qu'au moins la gauche soit présente, qu'on ait un vrai débat entre les deux tours, pour qu'on cesse de penser qu'il n'y a pas d'autre voie possible que celle du libéralisme économique et de la casse sociale, pour que les vraies questions soient posées, les vrais clivages sur notre vision du monde. Au lieu du ressassement des thèmes identitaires et racistes qui n'a d'autre but que de détourner la colère sociale des vrais sujets, il faut qu'on puisse entendre la voix de ceux qui veulent mettre l'économie au service de l'humain et non l'inverse, organiser une planification écologique afin de limiter les catastrophes à venir, réduire les inégalités au lieu de les creuser, renforcer les services publics au profit de tous.
C'est très simple, faire en sorte que la gauche soit présente au deuxième tour, c'est empêcher que l'extrême-droite y soit. Il faut voter Mélechon tout simplement pour que le débat ait lieu et que la démocratie retrouve un peu de vitalité.
Je recommande chaudement la lecture de cette tribune que je trouve convaincante : https://www.ceseramelenchon.com/
Y’a du soleil! Y’a du soleil! Y’ a du soleil et des oiseaux! Les petites fleurs montrent leurs museaux sous les fourrés touffus du petit bois derrière chez moi. La voisine chante en rangeant sa terrasse. Telles des feuilles emportées par le vent, les masques sont tombés du nez des gens. Les sourires refleurissent indécents, à la moustache des agents. C’est le printemps. Ma femme est une reine. Un air adolescent joyeux et insolent rafraîchit le petit vent coulis qui court le long des quais. Même en tendant l’oreille, on n’entend pas encore le sourd fracas des horreurs de l’Ukraine. Des papillons citron volètent allègres. Les femmes embellissent. Celle-ci a guéri de ses nuits d’insomnie. Celle-là m’a écrit qu’enfin raisonnable, elle faisait la folie d’attendre un bébé. Chez nous, ça va encore. Si les poussettes sont vides sur les marches cahotantes des escaliers d’Odessa, si la planète gémit sous les coups du climat, chez nous, ça va. C’est le printemps, le temps des promesses. Les présidentiables nous augurent mille fleurs et autant de new deals. Ils nous endorment de leur «quoi qu’il en coûte» sans préciser qui va payer. Ils repeignent au vin blanc les écrans médiatiques pour que nos cerveaux brouillés soient capables de voter. Nos mains ne trembleront pas au-dessus de leurs urnes. Après on oubliera. Il suffira d’un match, d’une course ou d’une autre olympiade, pour que le peuple ait son content de jeux. Et tant qu’il a encore du pain chez nous, ça ira bien. Le printemps renaît et redonne de l’espoir à l’humanité. Heureusement il y a les jonquilles, les renoncules et les anémones. Et puis il y a Marina Ovsiannikova. Si blonde, si russe, cette journaliste a dénoncé durant le journal télévisé le plus suivi de Russie la guerre inique de Poutine à l’Ukraine. Faisons en sorte que le monde entier connaisse son nom et salue son acte d’un courage fou. Les mots font des trous dans les drapeaux. Le monde est à laver du sang de ses martyrs, les hommes au champ d’honneur, les femmes à celui du déshonneur et les enfants sous les gravats de leurs vies avortées. Les hommes se tuent et s’entretuent, il ne faut pas que les femmes se taisent. Ainsi pour relever la tête, pour épanouir la corolle, pour prendre son envol et croire encore à l’humanité de l’Humanité, il nous faut des milliers, des millions, des milliards de Marina Ovsiannikova ! N’hésitons pas à nous souvenir de son nom.
Bonjour, Tristesse ? Comment ça va ? ̶ Ça va, ça va ! ̶ Et les guerres ? ̶ Ça mijote, ça mijote. ̶ Et la Terre ? ̶ Ça tremblote, ça tremblote. ̶ Et la Mer ? ̶ Elle est en colère. Elle dévore la Terre, avec des vagues comme de grandes dents et des hurlement de vents déments. ̶ Alors, euh, les poires ? ̶ C’est le désespoir. ̶ Bon. Et les pommes ? ̶ Elles pourrissent, comme les hommes. ̶ Et les femmes ? ̶ Y’en a beaucoup qui perdent leur âme. ̶ Et les enfants ? Dis ! Et les enfants ? Même la Tristesse, elle se tait. Pour les enfants, c’est la honte. Où est passée ma belle humeur ? Le cœur me ronge. Les temps ont-ils à ce point changé ? Les démocraties ne seraient-elles que de petits intermèdes dans ce monde d’autocrates tyranniques ou d’oligarques corrompus, vaguement élus ? Les leçons des déflagrations mondiales ne leur ont laissé qu’un goût de revenez-y. Des missiles pointent leurs nez obscènes hors de leurs silos. Le prix du pétrole monte, autant que baisse celui de la vie. Les nouveaux poilus sont prêts, arme au pied, dans leurs tranchées boueuses . Les guerres justes et propres de nos aînés sont remplacées par d’encore plus justes et plus propres. Nos braves machos préfèreront sacrifier leur vie que leurs bourses sur l’autel du grand ordre patriarcal. Le sang des innocents va encore se diluer dans les océans. Messieurs, serrons les rangs ! On a compté les féminicides, les femmes violentées, les enfants « incestés », comptera-t-on les dommages collatéraux des victoires de nos héros ? On va tout normaliser. Notre technologie a automatisé les caissières, mais pas les femmes prostituées. Elles vont redevenir nos courageuses travailleuses du sexe au service de la nation, pour la splendeur de nos armées. Elles vont monter au grade d’assistante à la santé sexuelle, pour garder aux pauvres garçons handicapés le droit de baiser. La marchandisation des femmes porteuses de bébé deviendra éthique, oubliant le sacrifice contre rançon de l’amour maternel, pour le triomphe eugénique d’acheter un enfant « conforme » à ses bons gènes. Faudrait pas se faire livrer une fille handicapée, au prix que ça coûte ! Qui va se poser le problème des migrants en temps de guerre ? Et des vieux ? C’est fini les vacances en EHPAD. Les vieilles, au boulot ! Le monde va retrouver ses vieilles croyances, le veau d’or de la raison du plus fort et le mètre-étalon de la raison du plus riche. Les destructeurs vont piller, raser, incendier. Les bâtisseurs vont élever des monuments à la gloire éternelle des empereurs les plus cruels. On va tout normaliser.
Le jour se lève. Tout prête à la bonne humeur et à l’optimisme. Les omicrons s’apprêtent à estomper leurs vagues destructrices et l’avenir réapparait derrière les nuages roses de l’aube. Les grognements de chiens en laisse des armées étrangères résonnent dans les sous-bois des forêts frontalières, décorant de vert sombre leurs frondaisons, déjà frissonnantes de l’attente du printemps. Le monde bouge. La glace se fendille. Bientôt les beaux jours. Nos oreilles se sont faites aux débordements mousseux des borborygmes médiatiques et aux cris d’orfraie lancés par les protagonistes électoraux à chaque billevesée présidentielle. Nos yeux scrutent l’horizon en quête de nuées prometteuses, sans s’arrêter aux miasmes atmosphériques des pollutions industrielles. Nos bouches restent mi-closes. Les paroles s’éteignent sous le masque hygiénique, qui ne laisse échapper que les harangues des anti-quasi-tout et leurs vociférations libertariennes. Aux orées des bois, parés d’espoir et de pendants d’oreilles, les noisetiers feutrent de vert amande les chevilles moussues des futaies. Les premiers oiseaux des fourrés nous flattent les tympans de leur joie de vivre. On attend les fleurs. Les annonces catastrophiques des collapsologues climatiques relâchent leur étreinte sur nos cœurs, quand les bruits de bottes et de chenilles des lance-roquettes se font plus prégnants dans les haut-parleurs des chaînes continues d’actualité. Cela soulage un peu de changer de peur. Cela ne va pas si mal. On rencontre des difficultés à trouver une place à l’année en France dans un port de plaisance. On aspire à une vie normale. On attend le prochain calendrier de la levée des restrictions. Il fait froid, mais il y a du soleil. Les gros financiers du beau monde n’ont jamais été aussi riches. Les crises économiques et sanitaires annoncées ne sont que de nouveaux fromages pour leurs insatiables appétits. Enfin, des gens heureux ! Nous avons tant besoin d’années folles, de danses débridées, de fêtes, d’alcools et de légèreté. Alors vous comprenez, l’Ukraine, les gilets orange noyés par des mers dénaturées et les charniers de canards du Périgord ne vont pas entamer notre désir d’harmonie. Notre volonté de ne pas imaginer l'impensable doit nourrir nos capacités de développement personnel et contribue au maintien de nos équilibres intérieurs. Ne sont-ils pas les conditions expresses de notre santé et de notre prospérité ? Pour la nouvelle année, recevez tous mes souhaits de bonheur et de bonne humeur !
Depuis quand l’humanité est-elle tombée dans l’énorme piège des « normes » ? Les êtres humains se sont fait prendre dans les chausse-trappes des groupes, des communautés, des ethnies, des castes et des races, probablement dès le néolithique. Avec l’agriculture et la domestication des animaux, la richesse de ces civilisations premières a permis un accroissement rapide des populations, entraînant la nécessité de les comptabiliser. Pour compter, il a fallu écrire. Les scribes et les comptables, mais aussi les voleurs et les escrocs se sont organisés. La hâte a gagné les normatifs et les comptes ont remplacé les contes des veillées d’hiver. La hiérarchie des sociétés sexistes a offert à ses despotes le privilège du vol légal grâce à la mise en coupe réglée de leurs peuples maintenus en servitude volontaire. Mais il faut diviser pour régner. Le triage eugénique oblige à extraire les chèvres des moutons, les noirs comme ceux à cinq pattes et les tondus des galeux. La démocratie athénienne avait déjà soigneusement séparé les citoyens des étrangers, des esclaves, des femmes et des enfants. Les normes psychiques et physiques, érigées en esthétiques sacrées, avaient déjà acquis la cruauté implacable de celles de notre société moderne. On y tuait les mal formés, violait les femmes et les enfants, exilait les lépreux et enfermait les invalides survivants. La charia n’a rien à envier à ces coutumes ancestrales cruelles. La naissance des nations au dix-neuvième siècle, circonvenant les gens derrière des frontières d’états impérieux, a soulevé suffisamment de haines patriotiques pour nous offrir les massacres et les génocides du vingtième siècle. Derrière ces frontières, érigées en grandes murailles scarifiant la planète bleue, chacun.e se retrouve identifié.e. Notre identité ne nous appartient pas. La société sexiste nous tranche en groupes et sous-groupes, nous déchire en familles et sous-familles, nous découpe le long de nuanciers imbéciles de couleur de peau, de déclassements de richesse et de dégradés de pouvoir social. En haut, les grands blancs riches mâles, les intacts, les intouchés, que les ressacs des rumeurs de leurs crimes ne peuvent atteindre. En bas, les intouchables. « Iels » sont sans dents, sans pieds, sans argent et sans papiers. Le titre de « Miss Univers de la misère » a été attribué ce mois-ci à une migrante, moyen-orientale, musulmane, affamée, morte avec son nouveau-né en accouchant dans les glaces d’une forêt polonaise. Le prix lui sera remis par un petit tyran moustachu biélorusse, avec la bienveillante bénédiction des puissants de ce monde.